Pour les experts, dont les projections estiment jusqu'à deux tiers de pertes pour les recettes de l'Etat --quasiment toutes issues du pétrole--, les responsables à Bagdad "vivent dans le déni".
Pourtant, les chiffres sont clairs: cette semaine, le pétrole est tombé à son plus bas depuis près de 20 ans, à 25,62 dollars le baril, sur fond de demande en baisse et de guerre des prix entre Ryad et Moscou.
L'Irak, deuxième producteur de l'Opep avec 3,5 millions b/j, pourrait voir fondre son budget 2020 --toujours pas voté--, qui table sur un baril à 56 dollars.
- Inquiétude "pas aiguë" -
"Au vu de la crise actuelle, les revenus pétroliers de l'Irak atteindront difficilement 2,5 milliards de dollars par mois", prévient Fatih Birol, qui dirige l'agence internationale de l'Energie (AIE).
Au total, les recettes de l'Etat devrait chuter de 65% en 2020, avec un déficit mensuel de quatre milliards de dollars rien que pour faire tourner les institutions publiques et verser les revenus des huit millions de fonctionnaires et pensionnés.
Des responsables des ministères des Finances, de l'Industrie, de la Banque centrale ou encore des banques publiques assurent explorer des solutions.
"Il y a une inquiétude mais elle n'est pas aiguë", affirme à l'AFP le gouverneur de la Banque centrale Ali Allaq. "Les prix du pétrole ne vont pas rester à ce niveau, nous n'attendons pas une hausse énorme, mais assez pour gagner ce dont nous avons besoin".
Ce dont l'Irak a besoin, selon le projet de budget, toujours bloqué au Parlement sur fond de révolte populaire et d'impasse sur la formation d'un nouveau gouvernement, c'est de 137 milliards de dollars.
Un record dû en partie au fait que les autorités ont une nouvelle fois multiplié les embauches --500.000 nouveaux contrats ces derniers mois-- au nom de la paix sociale.
Les salaires des fonctionnaires sont ainsi passés de 36 milliards de dollars en 2019 à 47 milliards.
- Austérité dangereuse -
Au total, plus des trois quarts du budget couvrent uniquement ces salaires et les frais de fonctionnement des administrations, avec une part mineure dédiée aux investissements dans un pays pourtant en pénurie d'infrastructures.
M. Allaq assure lui que Bagdad "pourra payer la dette extérieure et les salaires" à condition de rogner sur les subventions et les services économiquement "non efficients".
Mais toute austérité pourrait venir alimenter une colère populaire toujours vivace après des mois de manifestations.
L'Etat pourrait aussi, argue M. Allaq, puiser "des milliards" dans les comptes des ministères où sont stockés les surplus des années précédentes --pour lesquels aucun chiffre n'est connu dans un des pays les plus corrompus au monde--, contracter des emprunts auprès des particuliers ou rééchelonner sa dette.
L'Irak est aussi en discussion avec le Fonds monétaire international (FMI) mais, sans gouvernement et sans budget, peu de résultats sont attendus.
Quant à réévaluer le dinar irakien, emprunter à l'étranger ou cesser de payer les compagnies pétrolières étrangères --près d'un milliard de dollars par mois--, ce sont des options que Bagdad refuse.
"Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", clame M. Allaq.
Pour d'autres hauts responsables, sous le couvert de l'anonymat, le pays est toutefois déjà dans "une crise dangereuse".
- "Politique de l'autruche" -
Et ce notamment, dit-il à l'AFP, parce que "certains ministres refusent les coupes budgétaires" qui "mettraient à mal leurs réseaux clientélistes". D'autres au gouvernement tablent sur une forte remontée des prix du pétrole sous deux mois, quand l'AIE prévoit une baisse tenace de la demande.
Même si ce rétablissement a lieu, l'Arabie saoudite, premier compétiteur de Bagdad sur les marchés asiatiques, serait en outre un choix bien plus sûr que l'Irak pour des clients en quête de stabilité.
"La politique de l'autruche n'est pas une politique", s'emporte l'économiste Ahmed Tabaqchali.
En 2014 et 2016, l'Irak a déjà subi la chute des cours du brut mais, alors, son plus gros client, la Chine, n'était pas englué dans une crise sanitaire. Et l'Irak pouvait s'attirer les bonnes grâces de tous en mettant en avant son effort de guerre contre le groupe Etat islamique (EI).
Bagdad va il est vrai pouvoir piocher dans ses réserves (60 milliards de dollars) pour combler une part de son déficit mais, inévitablement, arrivera le moment des coupes salariales et emprunts à l'étranger --une gageure pour un pays secoué depuis quatre décennies par des guerres.
"Il y a des réajustements douloureux à faire", plaide M. Tabaqchali. "Maintenant, et pas quand ce sera le tour de nos petits-enfants".