L'ex-vice-présidente zimbabwéenne Joice Mujuru a décidé de défier le chef de l'Etat Robert Mugabe en lançant officiellement mardi son parti, au moment où la bataille pour la succession du président fait rage dans un pays qu'il contrôle d'une main de fer depuis 36 ans.
"Le parti +Le Peuple du Zimbabwe d'abord+ (Zimbabwe People First) est là", a déclaré Joice Mujuru à Harare lors de sa première conférence de presse depuis son éviction, fin 2014, de son poste de vice-présidente.
"Aujourd'hui est un jour historique. C'est une journée importante dans l'histoire politique de notre pays", a affirmé l'ancien bras droit de Robert Mugabe, un temps pressentie comme successeur possible du président mais tombée en disgrâce car soupçonnée de comploter contre le régime.
Robert Mugabe, 92 ans, le plus vieux chef de l'Etat en exercice dans le monde, a d'ores et déjà été désigné par son parti, la toute puissante Zanu-PF, comme son candidat pour la présidentielle de 2018. Mais sa santé visiblement fragile alimente les spéculations sur sa succession, dans un pays où les élections sont régulièrement entachées de fraude.
"Nous vivons dans un système injuste. Il faut absolument mettre fin au fléau de la corruption", a déclaré mardi Joice Mujuru, exhortant "tous les anciens combattants (de la lutte pour l'indépendance acquise en 1980), la police, l'armée et les services de renseignements à défendre la constitution".
"Il ne s'agit pas du parti d'une femme. Il s'agit d'un parti où le peuple est au centre du pouvoir", a-t-elle assuré. "Je jure devant vous que je ne suis ni une sorcière ni un assassin", a-t-elle poursuivi, dénonçant les accusations de Grace Mugabe, l'épouse du président devenue l'une des favorites à la succession du chef de l'Etat.
Jouissant d'une forte popularité au Zimbabwe, Joice Mujuru, 60 ans, va toutefois avoir la délicate tâche d'imposer son nouveau parti dans un paysage politique dominé par la Zanu-PF.
"Le double défi pour Mujuru est de se différencier de la Zanu-PF qu'elle a quitté et de l'opposition qu'elle rejoint. Elle a passé plus de trente années à la Zanu-PF et est largement perçue comme un produit du système", a estimé Rashweat Mukundu, analyste pour l'institut Démocratie au Zimbabwe.
Peu après son éviction de la vice-présidence, Joice Mujuru avait en fait été expulsée de la Zanu-PF.
Mugabe, son ancien "boss"
"La question est de savoir si elle va donner un coup de jeune à l'opposition dont l'histoire est jalonnée d'échecs et souffre désormais d'un déficit de confiance", a ajouté Rashweat Mukundu à l'AFP.
Joice Mujuru peut espérer récupérer le leadership de l'opposition actuellement détenu par le MDC de Morgan Tsvangirai qui peine à se remettre de sa défaite aux élections de 2013.
La Zanu-PF "contrôle la machine d'Etat et a tous les avantages, alors que l'opposition reste divisée", tempère cependant l'analyste.
Interrogée mardi sur sa relation avec le président, Joice Mujuru s'est montrée évasive: "Oui, le président Mugabe a été mon boss pendant des années, mais je ne veux pas qu'on me pousse à parler des gens. Nous voulons parler de choses qui font avancer le Zimbabwe, qui vont apporter du pain et du beurre sur votre table et la mienne".
Le Zimbabwe, victime de la grave sécheresse qui touche l'Afrique australe, peine à nourrir sa population et s'est déclaré début février en état de catastrophe naturelle.
Avant d'être écartée de la Zanu-PF, Joice Mujuru, veuve de Solomon Mujuru, premier chef noir de l'armée du pays, a occupé des postes ministériels dans tous les gouvernements depuis l'indépendance du pays, en 1980, et ce jusqu'en 2014.
En septembre, elle avait publié un manifeste où elle proposait de revenir sur des mesures clés prises par le président Mugabe, et notamment sur les lois d'indigénisation, qui exigent que la majorité des parts des entreprises soient détenues par des Zimbabwéens.
Plusieurs anciens ministres, dont Dzikamai Mavhaire, Didymus Mutasa et Sylvester Nguni, et d'anciens hauts responsables de la Zanu-PF, dont John Shumba Mvundura, Rugare Gumbo et David Butau, ont rejoint les rangs de ce nouveau parti d'opposition.
AFP