Deux plaies béantes sont visibles aux abords du marché: l'entrepôt du principal fournisseur de vivres, "Mondial center", et une friperie sont réduits à l'état de cendres. Au milieu des gravats, seuls quelques piliers porteurs sont encore debout.
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Dans la rue en terre défoncée du centre-ville, les rideaux des boutiques sont closes en ce début de semaine, même les bars sont fermés.
"On perd beaucoup d'argent mais nous avons peur", confie Mamoun, un représentant des commerçants dits "haoussa", terme qui désigne en fait l'ensemble de la petite communauté musulmane (kanuri, peuls...) immigrée des pays voisins depuis le début du XXe siècle.
Comme à Libreville où de violentes émeutes ont éclaté, dans le nord traditionnellement hostile au pouvoir en place des centaines d'habitants en colère sont descendues dans la rue jeudi, au lendemain de la proclamation officielle des résultats en faveur d'Ali Bongo.
Aussitôt, les "Haoussa", musulmans comme le chef de l'Etat gabonais dans un pays très majoritairement chrétien, sont pris pour cible.
Brandissant des pancartes "Jean Ping", le principal candidat d'opposition, de jeunes "autochtones" armés de pierres et de cocktails molotov attaquent le quartier Est des Haoussa, raconte à l'AFP un fidèle, Mohamadou Bouhari.
"Ils ont mis le feu là" pour essayer de propager l'incendie jusqu'à la mosquée voisine, où des hommes agenouillés récitent une prière, explique-t-il en montrant une bicoque en bois.
Rencontrés aux abord du quartier, Zimel et Wesler, 25 et 28 ans, assument: "Les Haoussa, on leur a accordé une petite place, mais ils ne doivent pas se mêler de nos affaires, ce sont des étrangers!".
'Amalgames'
Comme de nombreux Bitamois, les deux étudiants sont persuadés que cette communauté a donné ses voix au président Bongo et que des cartes d'électeurs lui ont été distribuées en surnombre. "Ali ne doit pas obtenir même 1% ici car on en a marre", précise Zimel.
Marre de la "dynastie qui dure depuis 50 ans", marre de se sentir "abandonnés" par le pouvoir dans un pays pétrolier pourtant riche d'à peine 2 millions d'habitants, marre de "toujours dépendre des pays voisins"...
"Toute notre nourriture vient du Cameroun, on ne produit rien ici" à part le manioc et la banane plantain, dénonce un quinquagénaire, Emmanuel Ménié. "Bitam est un mouroir, quand tu tombes malade il faut aller dans les hôpitaux camerounais ou équato-guinéens" situés de l'autre côté de la frontière.
De son côté, le chef de la communauté haoussa, Baba Toukour Oumar, reconnaît que ses membres ont voté à environ 80% pour Ali Bongo, "mais est-ce un crime?". Pour lui, l'histoire se répète, les musulmans sont régulièrement victimes d'"amalgames" dans le nord.
"La première fois, c'était en 1964, lors de la tentative de coup d'Etat contre Léon Mba", le premier président du Gabon indépendant, explique le vieil homme qui fut un temps conseiller d'Omar Bongo, le deuxième président - resté au pouvoir 41 ans - et père de l'actuel chef de l'Etat.
Depuis, cette minorité - moins d'un dixième de la population - a cohabité sans problème avec les quelque 13.000 habitants, se mélangeant sur les bancs de l'école et lors des mariages mixtes.
"Ce sont nos frères dans la vie de tous les jours mais le mécontentement général est trop grand, la situation peut dégénérer à tout moment", assure le député d'opposition Patrick Eyogo. La frontière avec le Cameroun est fermée depuis près d'une semaine et la pénurie de nourriture menace.
De fait, la défiance demeure entre les deux camps. Les pro-Ping accusent les Haoussa d'avoir "pris les machettes" et de s'être vengés en brûlant des voitures et en attaquant le domicile d'un responsable de l'opposition.
A la tombée de la nuit, les forces de l'ordre sont déployées en nombre pour sécuriser le marché, les stations-service ou les édifices publics comme la mairie.
Armés de bâtons et de gourdins, les Haoussa, eux, érigent des barricades pour bloquer l'accès du quartier Est à d'éventuels assaillants. "Si la population se déchaîne contre nous on est pas assez nombreux", explique Baba Toukour Oumar. "Alors on ne dort plus".
Avec AFP