A Butembo, Sauveur Mulwana sculpte pour l'histoire et la paix au Congo

La vie à Butembo, dans le Nord-Kivu, RDC, 25 août 2016. (REUTERS/Kenny Katombe)

Haut perché sur son piédestal bleu, le vieux chef nande est visible de loin. Il fallait bien cela pour ce "symbole de tolérance", explique le sculpteur Sauveur Mulwana, au pied de l'imposante statue qu'il a lui-même érigée sur un rond-point du sud de Butembo.

Cet artiste de 42 ans est bien connu dans cette ville de plus d'un million d'habitants de l'Est de la République démocratique du Congo, que la communauté des Nande considère comme sa capitale.

Depuis plusieurs années, il y sème des monuments ou des statues dont il fait don à la cité pour transmettre aux "générations futures" une part de leur patrimoine historique et culturel.

Il a immortalisé, dans une pose hiératique et vêtu d'un costume élégant à l'occidentale, une figure de Butembo: le mwami (roi) Kighombwe II Lusengo Kirugho, mort octogénaire en 2010 à l'issue d'un long règne.

Dans l'Est du Congo, les mwamis représentent un pouvoir coutumier qui s'exerce à côté de celui de l'administration de l'État. Il leur revient en particulier d'attribuer les terres, tâche cruciale dans une région où l'agriculture est l'affaire de l'immense majorité de la population.

Le mwami Kighombwe "a favorisé la fusion et la cohésion du peuple nande", mais il accordait aussi des parcelles aux nouveaux venus, dit M. Mulwana.

Butembo est située dans le nord du Nord-Kivu, province déchirée depuis plus de vingt ans par les guerres et la violence des conflits armés, souvent liés à des questions ethniques ou foncières.

- Artiste 'vulnérable' -

M. Mulwana estime d'autant plus urgent de faire connaître aujourd'hui le legs moral du mwami Kighombwe que la ville fait face depuis plusieurs années à un nouvel afflux de "rescapés" des conflits intercommunautaires qui agitent le sud de la province.

La récente apparition en ville de milices communautaires d'autodéfense, est à ce sujet révélatrice des "tensions" qui menacent considérablement les habitants, estime l'artiste.

Dans une vie antérieure, M. Mulwana était menuisier à Goma, la capitale du Nord-Kivu. En 2002, "mon entreprise a été ravagée par [la grande éruption du] volcan Nyiragongo", explique-t-il à l'AFP.

Originaire de Butembo, il décide alors de s'installer avec sa femme dans cette ville. C'est là que naît son projet.

Dans une ville "entièrement sans oeuvre d'art (...), je me suis senti vulnérable", raconte-t-il. Face à ce qu'il perçoit comme une rupture de la transmission orale traditionnelle, provoquée par "une sorte de course à la modernité" qui accompagne le développement de la ville, un violent désir de transmettre aux habitants leur histoire, leur culture, leur patrimoine s'empare de lui.

Pendant trois ans, il se documente, lit tout ce qu'il peut trouver, consulte les anciens. La matière première amassée prend forme en 2007 avec l'édification du Monument historique de Butembo, sur une place au coeur de la ville.

La base triangulaire de l'édifice est ornée d'une frise rappelant les activités séculaires des Nande, liées à l'agriculture et à la chasse jusqu'à l'"évangélisation" pendant la colonisation belge et l'entrée dans la "modernité" représentée par un homme d'affaires, référence au dynamisme des commerçants locaux, explique M. Mulwana.

- 'Engagement volontaire' -

Le ficus, symbole de la ville (Butembo signifie "la ville des ficus" en kinande), n'a pas été oublié: il est présent du sol jusqu'au plateau supérieur où une branche épaisse sert de siège à une mère allaitant "avec tendresse" à côté d'un "cultivateur joyeux", l'ensemble illustrant, selon l'artiste, "la collaboration du couple".

Une autre statue de M. Mulwana figure l'archevêque Emmanuel Kataliko, natif de Butembo et mort en 2000 après avoir dénoncé à maintes reprises l'occupation du Rwanda et de l'Ouganda, par des milices congolaises interposées, dans l'Est de la RDC pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003).

M. Mulwana dit tirer l'essentiel de ses revenus de reproductions de la grotte de Lourdes que lui commandent des paroisses catholiques, de contrats de décoration pour des hôtels notamment, et de la création de meubles.

Ces rentrées lui permettent d'assurer son "engagement volontaire face à la population", à travers ses sculptures et un centre d'apprentissage qu'il finance pour éviter que le chômage omniprésent ne pousse des jeunes désoeuvrés à rejoindre les groupes armés.

"Ce monsieur, il est fantastique", dit de lui Godefroid Kambere, maire-adjoint de Butembo, "il nous surprend toujours positivement". Un jour, le sculpteur a offert à la mairie, "comme ça", un buste de Laurent-Désiré Kabila, l'ancien président assassiné en 2001 et père de l'actuel chef de l'Etat Joseph Kabila. La sculpture est exposée devant l'hôtel de ville.

M. Mulwana voudrait "que les générations futures se réfèrent à la culture de [travail] des anciens habitants de cette ville de Butembo". Il veut aussi oeuvrer pour que "la jeunesse de Butembo ne reste pas isolée".

"Je suis Nande avant d'être Congolais", dit-il, "mais je suis fier de contribuer au développement de la paix en RDC".

Avec AFP