L'Allemagne veut réhabiliter les homosexuels condamnés après guerre

Hitler arrive à Vienne en 1938.

L'Allemagne a ouvert la voie mercredi à la réhabilitation et l'indemnisation de quelque 50.000 hommes condamnés pour homosexualité sur la base d'un texte nazi resté en vigueur longtemps après la Deuxième guerre mondiale.

"La réhabilitation des hommes, qui ont été traînés devant les tribunaux en raison de leur homosexualité, aurait dû intervenir il y a longtemps", a déclaré dans un communiqué le ministre de la Justice Heiko Maas, après l'adoption d'un projet de loi en ce sens en conseil des ministres.

"Ils ont été poursuivis, punis et honnis par l'Etat allemand en raison de leur seul amour pour d'autres hommes", a ajouté le ministre social-démocrate, qui a dû batailler ferme au sein du gouvernement de coalition avec l'aile la plus conservatrice du parti de la chancelière Angela Merkel pour imposer son texte, à l'issue de plusieurs mois de tractations.

Le projet de loi va encore devoir être approuvé par le Parlement. Il prévoit 3.000 euros d'indemnisation forfaitaire par condamnation ainsi que 1.500 euros par année de détention. En outre, le gouvernement va financer à hauteur de 500.000 euros par an une fondation spécialisée dans le travail de mémoire sur le sujet.

"Les homosexuels condamnés ne doivent plus vivre avec ce stigmate", qui a souvent "détruit leur parcours professionnel et leur vie tout court", a souligné le ministère de la Justice.

L'initiative intervient quelques mois après l'annonce d'une loi comparable pour les homosexuels condamnés en Angleterre et au Pays de Galles, à la différence que le texte ne s'applique qu'aux défunts. Seule l'Ecosse a annoncé vouloir aussi réhabiliter les vivants.

Pendant 122 ans, de 1872 à son abrogation en 1994, l'article 175 du Code pénal allemand a puni de prison "les actes sexuels contre nature (...), que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux".


Sa sévérité avait été accrue en 1935 par un amendement nazi prévoyant jusqu'à dix ans de travaux forcés. Plus de 42.000 hommes ont été condamnés à ce titre sous le IIIe Reich, envoyés en prison et pour certains en camp de concentration.

Mais l'article 175 a été maintenu après guerre, restant pendant des décennies la seule survivance légale des persécutions nazies, et conduisant à 50.000 nouvelles condamnations dans la jeune démocratie ouest-allemande.

"On les traquait, on les chassait de leur travail, on interrogeait leurs collègues, leurs amis et les membres de leur famille", rappelait récemment le quotidien Süddeutsche Zeitung, évoquant une "mort sociale".

Plusieurs condamnés ont raconté dans la presse leur vie brisée et, plus largement, leurs amours clandestines, marquées par une peur constante. Au point que la Süddeutsche Zeitung rapporte une vague de castrations volontaires après guerre.

"On avait un pied dans une pissotière et l'autre en prison", se souvient "Fritz" dans le magazine gay Siegessäule, regrettant de n'avoir jamais pu "s'excuser" auprès de son partenaire d'un soir, condamné à sept ans et demi de prison quand lui-même, consentant mais mineur, avait été détenu quelques semaines.

Les procès pour homosexualité ont eu lieu pour l'essentiel jusqu'en 1969, date à laquelle l'article 175 est revenu à sa version d'avant 1935. En Allemagne de l'Est, l'article 175 avait d'emblée été rétabli dans sa première version et a été supprimé en 1968.

En 1957, la Cour constitutionnelle allemande attribuait encore aux hommes homosexuels un "comportement sexuel débridé", synonyme de dangerosité sociale, assurant à l'inverse que les femmes homosexuelles étaient plus "passives".

Pour la communauté gay en Allemagne, l'annulation des condamnations est perçue comme un pas supplémentaire dans leur reconnaissance. Une autre de leur revendication, plus actuelle, porte sur le mariage homosexuel, qui reste interdit en Allemagne.

Le parti social-démocrate a décidé de militer en sa faveur lors des élections législatives de septembre, face au parti de la chancelière, dont l'aile bavaroise, la plus conservatrice sur les questions de moeurs, y reste opposé.

Avec AFP