Ce document d'Amnesty International, intitulé Contraintes et privées de droits : mariages forcés et barrières à la contraception au Burkina Faso, dénonce la situation de nombreuses femmes et jeunes filles qui sont menacées ou battues lorsqu’elles tentent de faire leurs propres choix concernant le fait de se marier ou d’avoir des enfants.
"Bien trop de femmes et de jeunes filles au Burkina Faso n’ont aucun contrôle sur leur vie : elles sont privées du droit de choisir si, quand et avec qui elles se marient et si elles souhaitent avoir des enfants", a déclaré Alioune Tine, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
Il décrit leur vie une fois marié : "Elles sont censées avoir des enfants le plus tôt possible. Les grossesses précoces augmentent fortement le risque de mortalité ou de lésions qui changent le cours d’une vie. Très peu ont la chance d'aller à l'école ou de terminer leurs études."
"Dans certaines zones du Burkina Faso, plus de la moitié des filles sont mariées avant l'âge de 18 ans, explique-t-il, cela doit cesser. Ni la famille ni la société ne devraient pouvoir prendre de décisions concernant le corps d’une jeune fille, ni la priver de la possibilité de réaliser ses propres rêves pour le futur."
Des chercheurs d’Amnesty International ont parlé avec 379 femmes et filles en 2014 et 2015, recensant les nombreux obstacles les empêchant de bénéficier de services de contraception. Ils se sont entretenus avec 35 victimes de mariage précoce et forcé étant parvenues à s’échapper.
En vertu du droit du Burkina Faso, une jeune fille doit être âgée d’au moins 17 ans pour pouvoir se marier, et pourtant plus de la moitié (51,3 %) des filles âgées de 15 à 17 ans dans la région du Sahel (nord du pays) sont déjà mariées.
Mariage précoce et forcé
Au Burkina Faso, des familles marient souvent leurs filles afin de renforcer des alliances familiales, d’acquérir un statut social ou en échange de biens, d’argent et de services.
Le rapport évoque aussi la pratique, dans certaines zones, du "Pog-lenga" ou "femme bonus", selon laquelle la nouvelle épouse peut aussi amener sa nièce dans la famille de son mari comme une jeune fille en plus à donner en mariage. Céline, une adolescente de 15 ans ayant fui le jour de son mariage, a expliqué à Amnesty International qu’elle avait été forcée à épouser un parent du mari de sa tante :
"Je ne voulais pas épouser cet homme. Ma tante m’a dit : “Si tu t’enfuis, je te détruirai”. Je me suis échappée du domicile de mon mari, mais quand je suis arrivée au village, ma famille m’a dit que je ne pouvais pas vivre avec eux."
Les filles qui résistent à un mariage forcé subissent une pression énorme de la part de leur famille et de la société en général, et notamment des menaces de violence.
"Mon père m’a mariée à un homme de 70 ans qui a déjà cinq épouses. Mon père m’a dit que si je ne rejoignais pas mon mari, il me tuerait", explique Maria, une jeune fille de 13 ans. Elle a fui, marché pendant trois jours et parcouru près de 170 km pour trouver refuge dans un centre d'accueil pour jeunes filles.
Aucun choix en matière de contraception
Presque toutes les femmes et jeunes filles interviewées par Amnesty International ont dit avoir été insultées ou agressées physiquement lorsqu’elles ont soulevé la question de la contraception avec leur conjoint. Elles ont ajouté qu’elles sont obligées de demander de l’argent à leur conjoint pour acheter des produits contraceptifs, compte tenu du fait qu’elles ne contrôlent pas les ressources financières du ménage.
Bintou, 25 ans, décrit sa situation : "Juste avant de tomber enceinte de mon dernier enfant, j’ai voulu profiter de la semaine de gratuité de la contraception, mais je suis arrivée trop tard et elle était déjà terminée. J’ai demandé de l’argent à mon mari. Il s’est fâché. Il s’y opposait systématiquement et chez nous, quand le mari parle, les femmes doivent écouter et obéir. Déjà, en temps normal, quand on demande de l’argent pour les courses, il en vient aux mains. Vous imaginez alors quand c’est pour des produits contraceptifs. »
Malgré les efforts du gouvernement pour réduire le coût des contraceptifs, la plupart des femmes et des jeunes filles ont déclaré qu’elles n’avaient pas les moyens de s’en procurer.
Selon les chiffres officiels, moins de 16 % des femmes ont recours à une méthode moderne de contraception, ce qui contribue fortement à la possibilité de grossesses non désirées et parfois à des grossesses à haut risque. Des agences des Nations unies ont souligné le fait que l’utilisation de contraceptifs pourrait grandement réduire la mortalité maternelle.
Près de 30 % des filles et des jeunes femmes de 15 à 19 ans en milieu rural sont enceintes ou ont déjà eu leur premier enfant, malgré le fait qu’elles sont deux fois plus susceptibles de mourir durant la grossesse ou l’accouchement que les filles de plus de 20 ans.
Une réforme requise en urgence
En vertu du droit du Burkina Faso, le mariage précoce et forcé est déjà interdit, mais d’une manière inadéquate et discriminatoire : l’âge minimum légal pour le mariage est de 21 ans pour les hommes et 17 ans pour les femmes. Cette loi s’applique uniquement aux mariages enregistrés par l’État - une faible proportion des mariages ayant lieu -, pas aux mariages traditionnels et religieux.
Le gouvernement s’est engagé à changer la loi, mais il doit entreprendre ces réformes de toute urgence afin de veiller à ce que tous les mariages soient enregistrés et vérifiés, et à ce que 18 ans soit l’âge légal pour tous.
Le gouvernement a également levé des obstacles financiers auxquels les femmes étaient confrontées dans le domaine de l’accès aux soins durant leur grossesse. Amnesty International lui demande de franchir l’étape suivante, et de mettre gratuitement à disposition au moins certains produits contraceptifs que les femmes peuvent utiliser en toute sécurité et discrétion.
"Les taux de mariages précoces et forcés au Burkina Faso sont parmi les plus élevés au monde, et le pays a lun des taux les plus bas de recours aux contraceptifs", a déclaré Alioune Tine.
"Il est crucial que le gouvernement respecte le droit qu'ont les jeunes filles de prendre leurs propres décisions concernant leur corps, leur vie et leur futur. Les engagements récents en faveur de l’élimination du mariage des enfants sont encourageants, mais tant que ces promesses ne seront pas une réalité quotidienne, des jeunes filles en paieront le prix."
Amnesty International a également lancé une campagne mondiale "Mon corps, mes droits".