Angleterre - Manchester : divisé sur le foot, uni dans le rock

Marcus Rashford de Manchester United lors du match Manchester United / Aston Villa à Old Trafford à Manchester, Grande-Bretagne, 16 avril 2016. (epa/ Peter Powell)

A l'ombre d'Old Trafford et des bâtiments en briques rouges, on écoute du rock : alors que Manchester va se déchirer samedi pour son derby entre United et City, la ville se réunit depuis les années 1970 autour de sa légendaire scène musicale.

Joy Division, New Order, The Smiths, The Buzzcocks, Happy Mondays, The Stone Roses, Simply Red, Oasis ... Tous ces groupes ont fait la réputation de Manchester, tout comme ses deux clubs.

"Dans les années 1970 et 1980, au moment de la formation de la scène musicale, il n'y avait pas grand-chose à faire en ville", explique Dave Haslam, l'un des anciens DJ de l'Hacienda, le plus célèbre club (dans le sens "boîte de nuit” !) de Manchester, aujourd'hui fermé. "La musique est un bon moyen de s'échapper. La classe ouvrière avait tellement besoin de s'amuser."

"C'était une ville industrielle et l'industrie commençait à disparaître. Dans les années 1970, il y avait du chômage, des bâtiments vides et assez peu de confiance dans l'avenir", se souvient Haslam, auteur de plusieurs ouvrages sur la musique. "Pour les jeunes hommes, la musique et le football étaient accessibles sans avoir besoin de diplômes universitaires. Ils étaient démocratiques."

-'Madchester'-

"Au tout début des années punk, en 1976, d'importants réseaux se sont mis en place pour que des choses se passent à Manchester", explique le sociologue Nick Crossley, chercheur à l'université de cette grande ville du nord de l'Angleterre.

"Si certains sont devenus musiciens, d'autres ont préféré prendre les rôles nécessaires (manager, promoteur, fondateur de label) pour développer une scène musicale. (...) Une fois cette scène punk créée, ces réseaux étaient en place pour (...) le post-punk et la dance."

Factory Records, la principale maison de disques de la ville, et des clubs comme l'Hacienda ont ensuite contribué grandement au mouvement. Et à faire de la cité le "Madchester" sous ecstasy des années 1980 et 1990 (un surnom évocateur basé sur un jeu de mots avec "Mad", fou en anglais).

Au même moment, un groupe de jeunes footballeurs commence à se faire remarquer : Paul Scholes, Nicky Butt, les frères Neville, tous de Manchester et bientôt rejoint par le Gallois Ryan Giggs et le Londonien David Beckham. Ils formeront ensuite l'ossature des "Red Devils" de Sir Alex Ferguson. Et comme il faut bien que jeunesse se passe...

"Grandir à Manchester dans les années 1990 était incroyable", explique Butt, dans le documentaire "The Class of 92". "Nous allions à l'Hacienda, au Boardwalk, à des concerts sur Spike Island. C'était spécial."

Musique et football se sont vraiment imbriqués dans ces années-là avec l'émergence d’Oasis : les frères Noel et Liam Gallagher ont en effet toujours revendiqué leur amour pour City.

- 'Mentalité football' -

"La musique et le foot sont associés parce qu'ils attirent les mêmes personnes, en grande partie des jeunes hommes. C'est accentué par le fait qu'il y a toujours eu deux grandes équipes, City et l'autre", note le Pr Crossley, supporteur des Citizens.

"Les Mancuniens sont aussi fiers de leur identité et aiment célébrer leur succès, surtout quand c'est aux dépens de Liverpool (la métropole voisine et rivale et berceau des Beatles, ndlr) ou des gens du sud", insiste le sociologue. "Ils se sont donc emparés de la musique et du football, des symboles de la réussite de la ville."

"La connexion entre musique et football est plus forte depuis vingt ans", analyse Haslam. "Le lien s'est fait dans les années 1990, avec la jeune équipe de MU et Oasis."

"Les Smiths se moquaient de revendiquer leur origine", assure l'ancien DJ. "Morrissey (chanteur de ce groupe culte des années 80, ndlr) n'a jamais voulu faire la promotion de Manchester, bien au contraire. Oasis étaient, eux, fiers de venir de Manchester. Ils ont amené cette mentalité +football+ dans la musique."

Si City a Oasis, Johnny Marr (The Smiths), et feu Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, United peut compter sur les soutiens de Richard Ashcroft (The Verve), Shaun Ryder (Happy Mondays) ou Mick Hucknall (Simply Red).

Samedi à l'entrée des joueurs sur le terrain d'Old Trafford, la chanson des Stone Roses "This is the One" sera jouée, comme c'est la coutume au "Théâtre des rêves".

Toute la ville est résumée dans ce groupe : Reni, le batteur, est fan de City, mais Ian Brown, John Squire et Mani, respectivement chanteur, guitariste et bassiste, sont supporters de United.

Avec AFP