Apple et Washington poursuivent leur bras de fer devant un juge

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Le gouvernement américain et le géant Apple vont poursuivre mardi devant un tribunal californien leur bras de fer concernant le déblocage d'un iPhone, dans une nouvelle joute qui pourrait avoir d'importantes conséquences en matière de cyber-sécurité et de protection des données personnelles.

Après des semaines de bataille par médias et injonctions interposés, un juge fédéral va trancher sur la validité de la requête des enquêteurs fédéraux, qui demandent à Apple de débloquer le téléphone d'un des auteurs de l'attentat de San Bernardino, qui a fait 14 morts en Californie début décembre.

"C'est un combat sur l'avenir de la surveillance des hautes technologies et l'infrastructure de confiance qui soutient l'écosystème mondial des logiciels", a écrit Julian Sanchez, expert des lois sur la surveillance au centre de réflexion libertaire Cato Institute, à Washington. Pour lui, il s'agit aussi de savoir "jusqu'à quel point les entreprises technologiques et les développeurs de logiciels peuvent être réquisitionnés pour pirater à la demande des gouvernements".

L'audience de mardi représente "la façade publique d'un conflit qui va sans doute se poursuivre en secret, ce qui est déjà sans doute en cours", a-t-il ajouté.

Le groupe de Cupertino, soutenu par une coalition d'entreprises technologiques dont plusieurs géants de la Silicon Valley comme Google, Facebook et Yahoo!, estime que la police fédérale (FBI) se sert de l'enquête sur le massacre du 2 décembre pour créer une "porte dérobée" utilisable sur tous les iPhones.

Apple considère également que le gouvernement outrepasse ses droits en invoquant le All Writs Act, ou loi sur les mandats, qui date de 1789, pour le forcer à débloquer le téléphone.

En rendant sa décision sur cette affaire, le tribunal doit prendre en compte le "contexte plus large" du débat sur les données personnelles, estime la société.

- 'Passe-partout' -

Le gouvernement répond qu'Apple n'est pas au-dessus des lois et que sa demande d'une assistance technique ne concerne que l'iPhone 5C de Sayed Farook, auteur avec sa femme Tashfeen Malik de la tuerie.

"C'est une demande limitée, ciblée (...) le gouvernement et les habitants ont besoin de savoir ce que contient le téléphone du terroriste, et le gouvernement a besoin de l'aide d'Apple pour le découvrir", ont écrit les avocats du ministère de la Justice au tribunal.

Entreprises technologiques, experts en sécurité et militants des droits civils craignent de créer un précédent qui forcerait les sociétés à céder les données de leurs clients.

"Ce n'est pas du tout une affaire qui concerne ce téléphone en particulier", dit Julian Sanchez à l'AFP.

"L'inquiétude concerne ce qui arrive après, quand il sera établi comme principe juridique que le gouvernement peut non seulement demander aux entreprises de lui transmettre les informations en leur possession -- ce qu'elles font déjà depuis longtemps -- mais qu'il peut aussi leur demander de créer des logiciels pour, en réalité, casser leurs propres mesures de sécurité", affirme-t-il.

Pencher du côté du gouvernement, poursuit M. Sanchez, reviendrait à lui fournir un "passe-partout" pour tous les appareils.

"Nous ne parlons pas simplement de risques pour la vie privée, nous parlons de clés pour des éléments qui servent de fonctions de sécurité essentielles (...) et c'est une chose terriblement dangereuse à enclencher", déclare-t-il.

Le fait que les deux assaillants de San Bernardino ont détruit leurs deux autres téléphones mais laissé l'iPhone professionnel de Farook Sayed intact amène également de nombreux commentateurs à penser que ce téléphone ne comporte aucun élément déterminant pour l'enquête du FBI.

"Les chances pour qu'il y ait des choses utiles sur ce téléphone sont extrêmement minces", abonde Julian Sanchez.

L'audience de mardi devrait durer près de trois heures, lors desquelles chaque partie présentera ses arguments, mais aucune décision n'est attendue le jour même.

L'affaire pourrait même s'enliser sur plusieurs mois, en cas d'appels de chaque décision. Et ainsi finir à la Cour suprême, qui tranche les grandes questions de société aux Etats-Unis.

Avec AFP