Après le Burundi et l'Afrique du Sud, la Gambie se retire de la CPI

Audience à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas, le 10 février 2014.

La "cascade" de retraits de pays africains de la Cour pénale internationale redoutée par les autres Etats membres s'est concrétisée mercredi avec l'annonce du départ de la Gambie, après le Burundi et l'Afrique du Sud.

La Gambie a annoncé cette décision par la voix de son ministre de l'Information Sheriff Bojang, dans une déclaration télévisée dans la nuit de mardi à mercredi, accusant la CPI de "persécution envers les Africains, en particulier leurs dirigeants", en écho aux critiques régulièrement entendues sur le continent.

Malgré son discours souvent vindicatif envers les pays occidentaux et les organisations de défense de droits de l'Homme, un retrait de la Gambie apparaissait jusqu'alors improbable, le procureure de la CPI, de nationalité gambienne, ayant été ministre de la Justice du président Yahya Jammeh.

Il s'agit en outre du premier pays d'Afrique de l'Ouest à exprimer cette intention, les détracteurs de cette juridiction se situant surtout dans l'est et le sud du continent, comme le Kenya, l'Ouganda, ou la Namibie.

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Me Mathias Morouba joint par Nathalie Barge

"Au moins 30 pays occidentaux ont commis des crimes de guerre odieux contre des Etats indépendants et souverains et leur citoyens depuis la création de la CPI sans qu'aucun criminel de guerre occidental soit poursuivi", a affirmé M. Bojang, citant le cas de l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair, que la Cour n'a pas poursuivi pour l'invasion de l'Irak en 2003.

La décision de retrait a été prise après que la Gambie a tenté en vain de convaincre la CPI de poursuivre les pays de l'Union européenne pour la mort de nombreux migrants africains en Méditerranée, a indiqué le ministre.

Dans une interview en mai à l'hebdomadaire Jeune Afrique, le président gambien avait pourtant défendu l'action de Mme Bensouda. "Son job est difficile et, contrairement à ce que j'entends, la CPI ne vise pas spécialement l'Afrique", avait-il dit.

"Les leaders africains râlent aujourd'hui. Mais pourquoi ont-ils signé (le traité ratifiant la CPI) en sachant qu'ils pouvaient en être victimes ?", avait souligné M. Jammeh. "Que ceux qui veulent quitter la CPI s'en aillent, mais si les pays africains étaient moins faibles et plus unis, nous pourrions peser au sein de la Cour".

Appels au dialogue

La semaine dernière, le Burundi a promulgué une loi prévoyant son retrait de la CPI et l'Afrique du Sud a annoncé son départ, à la suite de la polémique causée par son refus en 2015 d'arrêter le président soudanais Omar el-Béchir, visé par un mandat d'arrêt international pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

Réagissant à ces décisions, le président de l'Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, fondateur de la CPI, Sidiki Kaba, a dit craindre que "ce troublant signal n'ouvre la voie à une cascade de retraits d'États africains", dont 34 sur 54 ont ratifié ce Statut.

C'est sans doute le vote du Parlement burundais qui "a ouvert la vanne", a affirmé à l'AFP Alex Whiting, professeur de droit à l'université américaine de Harvard.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon et M. Kaba, ont appelé lundi les pays qui critiquent le fonctionnement de la CPI à ne pas s'en retirer, mais à résoudre leurs différends par le dialogue avec les autres membres.

M. Kaba, par ailleurs ministre sénégalais de la Justice, a également prôné le renforcement des systèmes judiciaires nationaux, rappelant que si neuf de ses dix enquêtes de la CPI avaient été ouvertes dans des pays africains, c'était en tant que juridiction d'"ultime recours", et à la demande de ces pays.

Si chacun de ces pays jugeait lui-même les crimes relevant de la compétence de la Cour, alors "l'Afrique jugerait les Africains sur le continent", a-t-il plaidé.

La Gambie, petit Etat anglophone d'Afrique de l'Ouest de quelque deux millions d'habitants, enclavé dans le territoire du Sénégal, hormis sa façade atlantique, est dirigée d'une main de fer depuis 1994 par Yahya Jammeh.

Son régime est accusé par des ONG et par le département d'Etat américain de disparitions forcées et de harcèlement de la presse et des défenseurs des droits humains, critiques qu'il rejette systématiquement.

Avec AFP