Athlétisme/Dopage: une pyramide corrompue de la base jusqu'au sommet

La façade de l’agence d’anti dopage Rusada, à Moscou, le 9 novembre 2015. Source : AP

Mis en cause ces dernières années, notamment dans les affaires Armstrong et Marion Jones, le système de contrôle analytique du dopage n'a pas scientifiquement fait face à l'athlétisme russe: il était juste corrompu, de la prise de sang jusqu'au sommet du système

Premiers maillons, les prélèvements de sang et/ou d'urine étaient quasi systématiquement biaisés pour les athlètes russes, avertis en avance des contrôles les concernant par l'autorité responsable, l'agence antidopage nationale (Rusada) via leur entraîneur, selon le rapport de la commission indépendante de l'AMA rendu public lundi.

Dès lors, il leur était relativement aisé, avec des complicités, d'envoyer un prête-nom au contrôle ou d'ingérer des substances masquantes.

Indispensable aux contrôles hors compétition --les plus efficaces--, le processus de localisation était lui aussi totalement dévoyé. Adresses manquantes, erronées... Nombre de préleveurs internationaux ont fait chou blanc à la porte d'athlètes russes.

Quant à la Rusada, autorité censée infliger les sanctions pour "no-show" ou manquement aux obligations de localisation, elle a systématiquement traîné dans les procédures.

Une fois les prélèvements effectués en bonne et due forme, une fois le résultat positif avéré par les analyses, la manipulation était encore au rendez-vous.

"Si un athlète ne pouvait s'arranger avec les préleveurs, alors il devait le faire, moyennant finance, avec les autorités du laboratoire antidopage", explique la commission d'enquête de l'AMA.

Cette dernière, conduite par l'inflexible Dick Pound, ancien patron de l'agence, raconte ainsi que 1417 échantillons, potentiellement parlants, ont été détruits en décembre 2014, à la veille de la visite de sa commission d'enquête qui avait signalé son arrivée au directeur du laboratoire de Moscou, Grigory Rodchenko.

Résultats sabotés

Le document de plus de 300 pages relate également comment le laboratoire moscovite, accrédité par l'AMA, faisait l'objet d'"interférences externes" dans son travail d'analyses. Des interférences matérialisés par des ordres verbaux en provenance du ministère des Sports, mais également par la présence constante de membres des services secrets russes, le FSB. Comme durant les Jeux de Sotchi.

Détruits, sabotés, étouffés, les résultats positifs n'étaient ainsi jamais révélés, comme il se doit, à la Fédération russe (Araf) ou selon les cas à la Fédération internationale (IAAF). Et s'ils l'étaient, les athlètes pouvaient encore payer l'une des deux organisations pour étouffer le scandale.

On entre là dans le volet international de l'affaire, qui a éclaté au grand jour avec la mise en examen en France de l'ancien président Lamine Diack, et de plusieurs autres officiels de l'IAAF dont son médecin, accusés de corruption passive.

Pour certains athlètes de très haut niveau, en effet, le processus disciplinaire en cas de contrôle positif n'est pas traité par les fédérations nationales mais "exporté" pour instruction vers les fédérations internationales.

Justice et presse plus efficaces que les labos

Cette organisation pyramidale du dopage et de la corruption ne ressemble en rien aux affaires de ces dernières années. Elle évoque plutôt le souvenir de l'ex-RDA, cette époque pré-chute du Mur de Berlin où le dopage d'Etat était d'autant plus institutionnalisé que les contrôles étaient peu efficaces et l'AMA loin d'être née.

"Les bases (du système sont) les mêmes que du temps de la RDA. Mais le fait que cela remonte jusqu'à l'IAAF donne à ce désastre une nouvelle dimension", a estimé Ines Geipel, ancienne sprinteuse est-allemande et présidente d'une association de victimes du dopage basée à Berlin.

Plus récemment, des scandales planétaires avaient mis en exergue les failles du système analytique et de la détection. C'était le cas de Lance Armstrong - privé de ses sept victoires au Tour de France - ou de Marion Jones - ex-star du sprint féminin mondial -, confondus sans qu'aucun échantillon positif exploitable n'ait jamais existé.

Contrôlés des centaines de fois, tous deux avaient réussi à passer entre les mailles du filet en utilisant des produits non ou difficilement détectables. Ils n'avaient été confondus que grâce aux révélations de la presse et l'intervention de la justice.

A cet égard, l'histoire se répète. Aujourd'hui, ce qui ne manquera pas d'apparaître comme l'une des plus grandes escroqueries de l'histoire du sport n'aura pas été révélée par un laboratoire, mis hors jeu par la corruption, mais par les journalistes et les enquêteurs.

Avec AFP