"Ce fut une expérience destructrice", explique à l'AFP Cheruiyot, également vainqueur du marathon de Milan en 2007 et des 20 km de Paris en 2005, désormais homme d'affaires prospère et agriculteur à Eldoret (ouest).
"Nous étions entassés dans une pièce exiguë d'un bâtiment délabré (en fait 70 m2), sans eau courante. Pour l'usage domestique et la douche, nous devions tirer l'eau de la rivière avec des seaux. Et payer chacun 200 euros de loyer".
Alerté par les voisins et les victimes, le maire de Vendeheim, près de Strasbourg, avait découvert qu'un groupe de 15 athlètes kényans, parmi lesquels Cheruiyot, alors âgé de 23 ans, et quatre femmes, vivait "dans des conditions contraires à la dignité humaine", selon la justice.
Cet épisode marqua la fin de la relation avec le manager français Jean-Marie Conrath, condamné à trois mois de prison et 8000 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Strasbourg.
"Je ne gagnais pas énormément. Mais j'avais la chance de participer à des cross en Europe et je voulais aider mes parents et ma famille", se souvient Cheruiyot, septième d'une fratrie de neuf.
Et d'ajouter: "Courir est déjà un sacrifice. Nos athlètes s'entraînent dur, dans des conditions difficiles et sans l'aide du gouvernement ou de la fédération. Alors je n'aime pas l'attitude de ces gens censés promouvoir des athlètes méritants, et qui au contraire les dépouillent de leurs gains".
"Nos jeunes athlètes sont dans une telle hâte de gagner de l'argent à n'importe quel prix (...) Il y a eu plusieurs cas d'athlètes qui ont échoué sans ressource en Corée ou en Malaisie après que des intermédiaires, qui leur avaient promis de les mettre en relation avec des promoteurs, eurent disparu avec leur argent", souligne Joseph Ngure, ancien entraîneur de cadets.
La Fédération kényane d'athlétisme (AK) a établi une liste noire d'agents étrangers, interdits de s'occuper des intérets des athlètes kényans, mais Ngure assure que des managers sans scrupule continuent d'user de stratagèmes.
"Les athlètes doivent faire preuve de prudence pour éviter d'être la proie d'intermédiaires qui se proposent de les mettre en relation avec des managers étrangers, en leur faisant miroiter de grandes promesses", avertit le marathonien Patrick Ngwatu. Il dirige un groupe de quelque 300 athlètes à Ngong, près de la capitale Nairobi.
"Les jeunes voient le sport comme un moyen d'aider leur famille. Ils ont vu leurs pairs rapporter beaucoup d'argent avec des gains substantiels à l'étranger, investi dans l'immobilier et la terre. Ils veulent faire pareil et sont prêts à tout pour voyager et courir en Europe et en Asie", insiste Patrick Ngwatu.
Parfois, le rêve se transforme en cauchemar. "Un de nos marathoniens, John Thuo Nyambura, est mort subitement au Japon il y a quelques semaines et personne n'a pu lui venir en aide, son université l'ayant rayé de ses listes, faute de résultats. Nous avons dû recueillir des fonds pour le rapatriement du corps au pays", conclut Patrick Ngwatu. Nyambura est décédé d'une pneumonie en janvier, à l'âge de 24 ans.
"Beaucoup de choses ont changé. Il y a 20 ans, les athlètes étaient mis dans des camionnettes qui sillonnaient l'Europe. Les managers faisaient courir les athlètes là où eux le désiraient, sans les payer parfois. Les fédérations en Éthiopie et au Kenya sont bien plus regardantes aujourd'hui. Bien sûr, certains managers font encore des choses qui ne devraient pas être tolérées, mais de moins en moins", assure pourtant le Néerlandais Jos Hermens, à la tête de la première écurie professionnelle de running.
Avec AFP