Décédée à 65 ans, Hamida Begum était prostituée depuis ses douze ans dans les taudis de Daulatdia. Cette maison close légale de l'ouest du Bangladesh est, avec 1.200 travailleuses du sexe et jusqu'à 5.000 clients quotidiens, l'une des plus grandes au monde.
A sa mort, sa famille comptait l'enterrer en catimini dans une tombe anonyme, la pratique habituelle. Jusqu'à ce qu'une coalition de prostituées réussisse à persuader la police locale et les responsables religieux de lui donner des funérailles en bonne et due forme.
"Je n'aurais jamais rêvé qu'elle reçoive une si honorable cérémonie d'adieux", confie Laxmi, fille de la défunte, qui exerce la même profession qu'elle. "Ma mère a été traitée comme un être humain."
Un responsable religieux d'un village voisin est ainsi venu le 2 février présider aux obsèques dans un cimetière, devant une assemblée de 200 personnes.
"L'imam était initialement réticent à diriger les prières. Mais nous lui avons demandé si l'islam interdisait de participer aux prières funéraires d'une travailleuse du sexe. Il n'avait pas de réponse", dit Ashiqur Rahman, chef de la police locale.
Lire aussi : Tunisie: ordination d'un évêque catholique, une première depuis 60 ansPrès de 400 personnes ont aussi participé aux traditionnels festin et prières quelques jours plus tard.
"C'était une scène sans précédent", raconte M. Rahman. "Les gens ont attendu jusque tard dans la nuit pour pouvoir se joindre aux prières". Avec ce geste, les autorités locales voulaient "mettre fin à un tabou discriminatoire", explique-t-il.
Hamida Begum est la première prostituée de Daulatdia à être enterrée religieusement, et possiblement la première du Bangladesh.
Ce pays de 160 millions d'habitants est l'une des rares nations à majorité musulmane au monde où la prostitution est légale mais reste mal vue et considérée comme immorale.
- "Comme un chien mort" -
Pendant des décennies, lorsqu'une prostituée de Daulatdia mourait, ses consoeurs jetaient son corps dans le fleuve Padma ou l'ensevelissaient dans la tourbe.
Au tournant des années 2000, les responsables locaux leur ont octroyé un terrain vague pour des enterrements dans des tombes anonymes. Les familles engageaient des drogués pour procéder à la mise en terre, généralement de nuit et sans prières formelles.
"Si nous voulions enterrer nos morts le matin, les villageois nous chassaient avec des bâtons de bambou", relate Jhumur Begum, qui dirige une organisation de prostituées. "C'était comme si un chien était mort", renchérit Nili Begum, ex-prostituée aujourd'hui grand-mère et qui vit toujours dans la maison de prostitution, où travaille sa fille.
Etabli à une centaine de kilomètres à l'ouest de la capitale Dacca, Daulatdia fait partie de la douzaine de maisons de passe autorisées par le gouvernement du Bangladesh. Les prostituées et leurs centaines d'enfants s'y entassent dans des habitations sommaires, séparées par d'étroites allées.
Situé à proximité d'un axe routier et d'un noeud ferroviaire, ce quartier chaud est fréquenté aussi bien par des habitants de la région que par des voyageurs de passage. Fondée il y a un siècle durant la colonisation britannique, la maison close occupe son emplacement actuel seulement depuis 1998, après que des habitants des environs ont incendié sa structure précédente.
Opérant dans la bicoque de deux pièces qu'Hamida Begum avait acheté avec ses économies, sa fille Laxmi, 35 ans, espère que les rites reçus par sa mère marqueront le début d'une nouvelle époque pour les prostituées de Daulatdia.
"J'espère qu'à partir d'aujourd'hui toute femme qui travaille ici, dont moi, aura les mêmes prières funéraires que ma mère", déclare-t-elle. Un voeu qui devrait être exaucé.
Jalil Fakir, un conseiller de village ayant participé à la cérémonie, confirme que les funérailles religieuses de prostituées se poursuivront afin de réduire les discriminations dont elles sont victimes.