Au Burkina, le projet de sortie de crise passe mal

Le projet de sortie de crise au Burkina Faso présenté par la médiation ouest-africaine suscitait lundi l'indignation de la société civile et d'une partie de la population, opposées à l'amnistie des putschistes et à la participation de candidats pro-Compaoré aux prochaines élections.

Colère et frustration étaient palpables dans les rues de la capitale burkinabé et de sa périphérie, où des jeunes ont érigé des barricades pour protester contre ce projet qualifié la veille de "honteux" par le collectif Balai Citoyen, en pointe dans le soulèvement populaire qui avait balayé le président Blaise Compaoré en 2014.

Fruit de trois jours de médiation-marathon à Ouagadougou, le projet d'accord sera soumis mardi à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) lors d'un sommet extraordinaire à Abuja.

Le texte, articulé en 13 points (BIEN 13), propose le maintien des élections législatives et présidentielle au Burkina, au plus tard le 22 novembre - au lieu de la date initiale du 11 octobre -, mais surtout la participation des candidats pro-Compaoré, invalidés ces derniers mois grâce à une loi votée par l'Assemblée intérimaire. C'était la principale revendication des auteurs du coup d'Etat militaire de jeudi, menés par le général Gilbert Diendéré, qui fut le bras droit de l'ex-président.

Parmi les autres points figurent la "restauration des institutions de la transition et du président Kafando" dans ses fonctions, et la "libération sans condition de toutes les personnes détenues suite aux événements".

Le sort du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), à l'origine du coup d'Etat, est quant à lui "laissé à l'appréciation du (prochain) président" élu. Depuis plusieurs mois, la société civile réclame la dissolution de cette unité d'élite de l'armée, forte de 1.300 hommes.

Le RSP, dirigée par le général Diendéré jusqu'à la chute de Blaise Compaoré, a pris le pouvoir en accusant les autorités d'avoir dévoyé le régime de transition, notamment en excluant les partisans de l'ex-président des prochaines élections.

Lundi, dans les quartiers périphériques de Ouagadougou, à Zogona (est de la ville) et Tampouy (ouest), des groupes de jeunes ont érigé des barricades et faisaient brûler des pneus, aux cris de "A bas la Cédéao", "A bas Diendéré", "A bas le RSP", ont constaté des journalistes de l'AFP.

- 'Que le meilleur gagne' -

Les jeunes étaient très remontés contre l'amnistie prévue par le projet de sortie de crise, réclamaient la dissolution du RSP et marquaient leur très vive hostilité à un éventuel retour au pouvoir de caciques de l'ancien régime.

A Tampouy, des gendarmes en tenue anti-émeutes venus à la rencontre des manifestants ont fini par repartir sous les applaudissements des jeunes, après leur avoir fait promettre de ne pas entraver la circulation des ambulances et des véhicules de secours.

En centre-ville, où la vie avait repris lundi un semblant de normalité, d'autres habitants se montraient également très critiques lundi et promettaient de nouvelles manifestations.

"On n'a plus confiance dans la Cédéao. On veut sortir (dans la rue), prendre notre destin en mains. Les corps (des manifestants tués) ne sont même pas enterrés et on amnistie. On va tout barricader", a déclaré à l'AFP Adama Traoré, un employé de bureau d'une trentaine d'années.

Selon un dernier bilan hospitalier samedi, les violences qui ont accompagné le coup d'Etat ont fait au moins 10 morts et 113 blessés.

Internet était quasi-inaccessible lundi et plusieurs réseaux de téléphonie mobile étaient coupés. Les appels à manifester via les réseaux sociaux avaient joué un rôle prépondérant dans l'organisation du soulèvement populaire qui avait mis fin aux 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré fin 2014.

"Ils essaient d'empêcher les gens de communiquer", commentait Issouf Ouédraogo, 25 ans, critiquant l'impunité promise aux putschistes, qui n'ont pas hésité à tirer sur la foule: "Les décédés, c'est cadeau".

Un autre habitant de la capitale, Dieudonné, interrogé par l'AFP, se montrait plus nuancé: "L'amnistie n'est pas une bonne chose mais l'inclusion des candidats CDP (parti de Blaise Compaoré), pourquoi pas? Ils n'ont qu'à les laisser se présenter et que le meilleur gagne".

Dans un contexte tendu depuis le putsch, le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de la Cédéao faisant office de médiateur, a pris soin dimanche de lancer "un appel pressant au calme et à la non-violence".

Le Burkina Faso, pays sahélien pauvre de 17 millions d'habitants, a connu depuis son indépendance en 1960 de nombreux coups d'État militaires. Le général Diendéré avait joué un rôle clé dans le putsch de 1987 qui avait porté au pouvoir Blaise Compaoré et s'était soldé par la mort du président Thomas Sankara.

Avec AFP