Dans les allées presque désertes de l'université Omar Bongo de Libreville, Nathan Ovono Obiang a les yeux rivés sur ses cours de mathématiques. Mais aussi sur l'actualité au Gabon, quatre semaines après que l'armée a renversé le président Ali Bongo Ondimba. "Je ne vois pas d'horizon, mais nous sommes conscients que les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain", lâche l'étudiant de 25 ans en troisième année de licence.
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Le 30 août, les militaires ont "mis fin au régime" et à 55 ans de "dynastie Bongo", Ali ayant succédé à sa mort en 2009 à son père Omar, qui dirigeait ce petit Etat d'Afrique centrale riche de son pétrole depuis plus de 41 ans. Le général Brice Oligui Nguema a été proclamé Président de transition.
Il a promis aussitôt – outre de remettre le pouvoir aux civils par des élections à une échéance qu'il n'a pas fixée – de nombreuses réformes en faveur des plus pauvres et des jeunes, notamment dans l'éducation et l'enseignement supérieur. Des secteurs sous-financés et délabrés en raison notamment de la corruption du régime et de la mauvaise gouvernance dénoncées par les militaires.
L'université Omar Bongo (UOB), fondée en 1970, est la principale du pays. Mais, comme chaque année, la rentrée est régulièrement repoussée. Ses murs sont lépreux, ses tableaux hors d'âge, certains bâtiments à l'abandon, les bourses pour les plus démunis non versées et nombres d'enseignants ne reçoivent aucun salaire parfois pendant plusieurs mois.
Les classes et amphithéâtres sont bondés mais les chances de trouver un travail à l'issue de ses études très maigres. "Nous étions 2.000 étudiants en première année de licence, c'était vraiment premier arrivé, premier servi pour avoir une place dans les cours", se remémore Nathan Ovono Obiang.
Certains sont optimistes, mais aussi impatients comme l'immense majorité des Gabonais qui ont applaudi les militaires pour les avoir "libérés des Bongo" et leur avoir promis d'améliorer rapidement leur quotidien. D'autres attendent de voir...
Sarah Emmanuel, en licence de droit privé, révise, le nez dans ses fiches. "J’étais pessimiste avant le retournement du 30 août, il y avait un vrai blocage sous l’ancien régime et nous manquions de tout à l'université", dit-elle. "Il faudra nécessairement du temps pour changer les choses mais je suis optimiste avec les annonces des réformes", notamment celle de moyens supplémentaires "pour nous insérer sur le marché de l'emploi", ajoute-t-elle.
Chômage des jeunes
Le chantier est immense. Au Gabon, troisième pays le plus riche d'Afrique par habitant mais où un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté (moins de 2 euros par jour), le taux de chômage est l'un des plus importants du continent: 20% de la population active et un tiers des moins de 25 ans, écrivait l'ONU en 2020, incriminant notamment mauvaise gouvernance et corruption.
"Ce n'est pas juste un problème financier, il n'y a pas d'adéquation entre nos formations et les attentes des entreprises à la sortie", remarque Nathan Ovono Obiang.
Une analyse nuancée par Noël Bertrand Boundzanga, enseignant chercheur à l'UOB, dans le quotidien gouvernemental l'Union du 21 septembre. S'il pointe du doigt "la réduction drastique des budgets", il affirme que "le problème est moins la nature des formations que la capacité d'une économie à générer des facteurs propices à la création d'emplois".
L'immense richesse tirée des ressources naturelles de ce pays est restée concentrée dans les mains d'une élite autour des Bongo, qui n'ont jamais diversifié l'économie pour la rendre moins dépendante du pétrole, du manganèse et du bois en créant une industrie de transformation, selon la Banque mondiale et les détracteurs de l'ancien régime.
"Les perspectives d'avenir étaient très restreintes parce qu'il n'y a pas beaucoup d'opportunités à la sortie des études", se plaint ainsi Marcus Mouloud, un étudiant de 24 ans en économie, pour qui "les étudiants étaient laissés à eux-mêmes". Mais il est optimiste maintenant: "Avec les nouvelles institutions, nous pouvons rêver mieux et penser que nous serons une jeunesse sauvée par rapport aux autres".
Karly Elislande potasse assidument ses cours de droit dans une grande salle de l'université. "On a l'espoir que les plus méritants puissent avoir du boulot", s'enthousiasme l'étudiante. Elle voudrait que le nouveau chef de l'Etat concentre la réforme de l'université sur la construction de logements pour les étudiants et, "pourquoi pas, la création dans chaque province d'une université" pour que tous les étudiants n'aient pas à "venir à Libreville saturer les première et deuxième années".