Au Maroc, le cinéma "premium" à la conquête des spectateurs

Une femme et un enfant quittent le cinéma "Le Colise" à Rabat, la capitale marocaine, le 18 juillet 2018.

Petites salles insonorisés, fauteuils design, projecteurs dernier cri... l'ancien cinéma du Colisée à Rabat a été refait de fond en comble pour offrir les premières salles "premium" du continent africain, nouveau théâtre de conquête de l'industrie du divertissement.

Après une étude de terrain qui l'a vu "sillonner le pays d'est en ouest", Pierre-François Bernet, le porteur du projet, a tout misé sur le "concept émergent des cinémas haut de gamme qui marchent de mieux en mieux en Asie mais aussi en France et aux Etats-unis", avec un confort maximum.

Les chiffres du Centre cinématographique marocain (CCM) sont pourtant catastrophiques: le pays comptait près de 300 cinémas dans les années 1980, il en reste une trentaine.

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Autrefois très populaires, les salles obscures ont vu leur fréquentation chuter à 1,5 millions d'entrées, même si le niveau des recettes, après un plongeon, est revenu l'an dernier à 72,5 millions de dirhams (6,5 millions d'euros), concentré sur un réseau de quatre multiplexes, à Casablanca, Marrakech et Tanger.

La tendance est globale, "beaucoup croient au positionnement haut de gamme, la modernisation de l'offre vise une certaine catégorie sociale, la classe moyenne et supérieure qui ne sort plus et reste à la maison", analyse Claude Forest, professeur en études cinématographiques à l'université de Strasbourg, dans le nord-est de la France.

"Marché déserté"

Sur la même ligne que Pierre-François Bernet et sa société Ciné-Atlas, "des groupes, avec des stratégies différentes, cherchent à occuper un marché déserté depuis dix ans en Afrique et au Maghreb", selon le spécialiste, qui suit de près les évolutions du cinéma sur le continent.

Le groupe Pathé-Gaumont, leader de l’exploitation des salles en France, va inaugurer d'ici la fin de l'année à Tunis son premier multiplexe hors d'Europe, lorgne des villes moyennes en Tunisie et pense au Maroc, avec la même promesse d'innovation technologique, selon un responsable local joint par l'AFP à Tunis.

Depuis 2015, le groupe Vivendi a ouvert huit salles en Afrique centrale et de l’Ouest avec son réseau Canal Olympia et en prévoit "plusieurs dizaines dans les années à venir" pour "répondre aux attentes d’un continent africain en forte croissance, avide de consommation de biens culturels", selon un récent communiqué du géant du divertissement.

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"Ça fait trente ans qu’on annonce la mort du cinéma à cause de la télévision, des cassettes VHS, des DVD, d'internet ou du piratage, mais il ne s’est jamais aussi bien porté: entre 2005 et 2015, l’exploitation a fait un bond énorme au niveau mondial, à +30%", souligne M. Bernet.

Convaincu que "l’Afrique est le marché de demain", ce Français de 49 ans a choisi le Maroc parce que "c’est là qu’il y a le potentiel de développement le plus fort" et que "c’est la porte d’entrée du continent".

Il travaille sur un deuxième site à El Jadida, une ville de 200.000 habitants sur la côte atlantique, également avec des aides publiques.

A deux pas du premier Ciné-Atlas, sur la plus grande avenue du centre-ville, le cinéma "Renaissance" ne redoute pas la concurrence mais espère au contraire voir "se dynamiser" Rabat, métropole assoupie de près de 600.000 habitants qui se rêve en "capitale culturelle du Maroc".

"Ça peut changer l'image du centre-ville et attirer les classes aisées" qui vivent dans les quartiers résidentiels excentrés, estime Zainab Guedira, la directrice générale du "Renaissance".

"Communauté de fidèles"

La salle polyvalente héritée des années 20 a été rouverte en 2013 par une association qui porte "la diversité culturelle" -projections, concerts, débats, ateliers- pour une "communauté de fidèles" essentiellement composée d'étudiants fauchés.

Pour attirer la nouvelle génération "nourrie aux films gratuits sur internet", Pierre-François Bernet parie évidemment sur les blockbusters américains.

Pour les autres, il promet des films "pour tous les publics" et a "mis le paquet", avec 11 millions de dirhams (1 million d'euros), dont 3,6 millions de subvention du CCM.

Les marbres précieux du hall ont été rénovés pour donner du cachet, les fauteuils à double accoudoirs sont de couleur blanche, pour "garantir une propreté visible".

Plus que sur les entrées, l'investisseur mise sur les confiseries et sur la publicité grand-écran, avec un taux espéré de remplissage de 35% -contre 5% dans les autres cinémas du Maroc-, grâce aux quatre salles découpées dans le grand espace avec balcon du vieux Colisée.

Avec AFP