Au Nigeria, des défis immenses pour le nouveau président contesté

Dès sa victoire, Bola Ahmed Tinubu a appelé l'opposition à "travailler ensemble" pour "recoller les morceaux" du Nigeria.

Dans l'histoire démocratique du Nigeria, jamais un président n'avait été élu avec une aussi faible proportion des voix. Bola Ahmed Tinubu, nouveau chef de l'Etat contesté par l'opposition, devra pourtant résoudre des défis sans précédent.

Connus pour leur résilience, les 216 millions d'habitants du pays le plus peuplé d'Afrique vivent aux prises avec une insécurité généralisée et une grave crise économique, et tous les voyants sont au rouge.

Sur fond de gigantesques pénuries de billets de banque et d'essence, Bola Tinubu a remporté fin février l'élection présidentielle à l'issue d'un scrutin entaché par de nombreuses défaillances techniques et par des accusations de "fraudes massives".

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Dès sa victoire, M. Tinubu a appelé l'opposition à "travailler ensemble" pour "recoller les morceaux" du Nigeria. Mais ses deux principaux adversaires, candidats malheureux à la présidentielle, contestent les résultats et des procédures juridiques sont en cours.

"Tinubu devra d'abord travailler dur pour construire sa légitimité, vu comment les élections se sont déroulées avec une Commission électorale (Inec) soit incompétente soit complice", estime Nnamdi Obasi, expert à l'International Crisis Group (ICG).

"En colère"

A 70 ans, le candidat du parti au pouvoir (APC) a remporté l'élection en cumulant seulement 8,8 millions de voix, soit 36% des suffrages, un score historiquement bas. La faute à Peter Obi, candidat surprise soutenu par la jeunesse urbaine et connectée.

La faute également à une abstention record (73%), due aussi bien à l'insécurité qu'au désenchantement d'une majorité de la population après huit années au pouvoir de Muhammadu Buhari – qui rend son tablier en mai – et ses deux mandats marqués par l'explosion de la pauvreté et des violences.

Pour gagner en légitimité, M. Tinubu – richissime et accusé de corruption sans jamais avoir été condamné – devra envoyer des "signaux forts très rapidement" et surtout ne pas suivre l'exemple de son prédécesseur qui avait attendu six mois pour former un gouvernement, insiste M. Obasi.

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Mais son âge et sa santé inquiètent. Dans un pays où 60% de la population a moins de 25 ans, M. Tinubu a souffert en public d'épisodes de tremblements, ce qui "exacerbe son problème de légitimité", explique Tunde Ajileye du cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence.

Le nouveau président devra donc "très probablement" faire face à une colère populaire, lui qui a annoncé une série de décisions "nécessaires" mais aux "conséquences économiques très négatives à court terme", assure M. Ajileye.

Sous le président Buhari, l'économie n'a fait que de se détériorer, notamment depuis le Covid et la guerre en Ukraine. Le chômage dépasse les 33%, l'inflation frôle les 22%, la dette publique se creuse et la pauvreté y est colossale, avec 133 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

En accord avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, M. Tinubu a par exemple assuré qu'il supprimerait immédiatement les subventions du carburant. Mais ce serait là se mettre à dos une population déjà à genoux, lui qui ne jouit déjà pas d'une grande popularité.

Car une telle décision ferait "doubler le prix du litre d'essence et provoquerait une inflation à grande échelle", prévient M. Obasi. "Les gens seront vraiment en colère".

"Impasse"

Mais leur suppression permettra au Nigeria, premier producteur de pétrole d'Afrique, de "gérer la crise budgétaire" et d'investir dans "l’Éducation, les infrastructures et les programmes de protection sociale", souligne Mucahid Durmaz, analyste chez Verisk Maplecroft.

Selon les experts, l'une des priorités est aussi de mettre fin au vol de pétrole à grande échelle qui fait perdre au Nigeria deux milliards de dollars par an. Le nouveau président devra également s'attaquer au corollaire de cette économie en berne : l'insécurité. Les violences restent généralisées, entre les groupes jihadistes, séparatistes et criminels.

De leur côté, les forces armées et la police sont en sous-effectif, mal équipées et régulièrement accusées de graves violations des droits humains. Elles "nécessitent de vastes réformes structurelles et des programmes de formation complets", insiste M. Durmaz.

En attendant, le Nigeria empile chaque semaine ses morts. Dans le nord-est, fief des groupes jihadistes, l'armée est incapable de mettre fin à 13 années d'un conflit ayant fait 40.000 morts et 2 millions de déplacés. "Rien n'indique que la stratégie change avec l'arrivée d'un nouveau président comme Tinubu", estime Jacob Zenn, chercheur à la Fondation Jamestown. "Cette impasse peut tout simplement perdurer".