Au Nigeria inondé, la menace d'une crise alimentaire

Avec les inondations, la situation risque de s'aggraver: 110.000 hectares de terres agricoles ont déjà été complètement détruits depuis août.

Déjà aux prises avec une inflation élevée et des niveaux inquiétants d'insécurité alimentaire, le Nigeria doit aussi faire face à des inondations et à leurs conséquences au niveau agricole et alimentaire.

Usman Musa avait investi toutes ses économies, 1.300 euros, dans sa riziculture de 10 hectares du centre du Nigeria. Elle est aujourd'hui submergée par les pires inondations de la décennie dans le pays le plus peuplé d'Afrique. Dans un canoë en bois, ce père de quatre enfants, âgé de 38 ans, s'est frayé un chemin dans les eaux troubles, passant devant ce qui était jadis sa maison, l'hôpital et l'école du quartier.

Aujourd'hui, dans l'Etat de Kogi, seuls les toits dépassent. Dans la majeure partie du Nigeria, les cultures de sorgho, maïs, riz et légumes sont inondées et les agriculteurs et travailleurs humanitaires mettent en garde contre une éventuelle crise alimentaire.

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Le pays, qui compte quelque 215 millions d'habitants, était déjà aux prises avec une inflation élevée et des niveaux inquiétants d'insécurité alimentaire. Avec les inondations, la situation risque de s'aggraver: 110.000 hectares de terres agricoles ont déjà été complètement détruits depuis août, selon le gouvernement.

"Les inondations sont toujours en cours mais nous pouvons aisément dire qu'entre 60 à 75% des récoltes attendues vont être perdues", se lamente Kabir Ibrahim, président de l'Associtation des agriculteurs du Nigeria. "C'est très grave. Tellement de gens pleurent."

La montée des eaux a fait plus de 600 morts et 1,3 million de déplacés, selon les dernières données publiées par la ministre des Affaires humanitaires Sadiya Umar Farouq.

Course contre la faim

Au Nigeria, les inondations sont fréquentes pendant la saison des pluies mais cette année, elles sont d'une rare ampleur. Le changement climatique tout comme une mauvaise planification et le déversement de l'eau des barrages sont pointés du doigt par les habitants et les responsables. Avertir en avance les agriculteurs n'a pas suffi.

"Nous avons suivi les prédictions et évité de planter dans les zones inondables", ajoute M. Ibrahim, "mais la dévastation est partout". Les difficultés se feront davantage ressentir "à la fin de l'année ou au début de la prochaine", prévient M. Ibrahim, dont l'association représente 20 millions d'agriculteurs.

Le Nigeria, pays très dépendant des importations, a enregistré le mois dernier une inflation des produits alimentaires de 23,3%, en partie à cause des répercussions de la pandémie de coronavirus et de l'invasion russe en Ukraine. Confrontés aux bandes criminelles qui ravagent les zones rurales, beaucoup d'agriculteurs ont été forcés de quitter leurs champs.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Organisation mondiale pour l'Alimentation et l'agriculture (FAO), le Nigeria fait déjà partie des six pays du monde confrontés à un risque élevé de niveaux catastrophiques de famine. Aujourd'hui, "les conséquences des inondations sur la production alimentaire sont une vraie menace pour le pays et pourraient provoquer une crise alimentaire majeure", s'inquiète Hussaini Abdu, directeur pour le Nigeria de l'ONG Care.

Mesures préventives

Les inondations détruisent bien plus que les terres agricoles : elles endommagent également les routes et ponts, limitant davantage l'approvisionnement alimentaire.

"On espérait que l'inflation se calme avec les (prochaines) récoltes mais maintenant, avec les inondations, c'est un grand point d'interrogation" pour la suite, insiste Ari Aisen, représentant du FMI au Nigeria. Il y a un "risque à la hausse pour l'inflation", a-t-il cependant estimé auprès de l'AFP.

En 2012, des inondations particulièrement meurtrières au Nigeria avaient coûté près de 17 milliards de dollars, selon la Banque mondiale. Une aide immédiate est nécessaire mais le FMI explique qu'il serait moins coûteux d'investir dans des mesures préventives.

Les pays devraient investir pour "aider les populations à s'adapter à ce type d'événements" plutôt que de réagir "après coup", affirme M. Aisen. En attendant, le gouvernement a annoncé redoubler d'efforts pour porter assistance aux populations.

Le président Muhammadu Buhari a ainsi approuvé le déblocage de 12.000 tonnes de céréales. Mais les agriculteurs ne savent pas si ce sera suffisant. M. Buhari a interdit l'importation de riz en 2015 pour encourager la production locale et l'autodépendance.

Mais pour Kabir Ibrahim, réautoriser ces importations "ne devrait pas être exclu, si la situation devient critique". Les agences météorologiques ont prévenu qu'il pourrait y avoir d'autres inondations jusqu'à la fin du mois de novembre.