"Il me faudrait une boisson fraîche", annonce le policier à la conductrice, nonchalamment accoudé à la vitre baissée. Le soleil tape sur le pare-brise de la voiture arrêtée depuis un bon moment sur le bord d'une artère embouteillée de Johannesburg.
Sous sa casquette à l'étincelant logo SAPS, South African police services, l'agent fait manifestement comprendre qu'il a tout son temps. Faisant tourner un jeu de clefs sur un doigt, il mâche inlassablement un chewing-gum.
Bottes à lacets et treillis, il a l'uniforme et les mauvaises habitudes: en Afrique du Sud, une envie de "boisson fraîche" lors d'un contrôle routier est une injonction bien connue à lâcher quelques centaines de rands (l'équivalent de dizaines d'euros).
Un petit paquet de billets bleus, ornés d'une tête de buffle d'un côté et du héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela de l'autre, subrepticement glissés dans la main de l'agent pour éviter l'amende, la fourrière ou même le poste.
Dans ce pays au taux de criminalité parmi les plus élevés au monde, la police a la sulfureuse réputation d'être à la fois inefficace et corrompue. Deux affaires de meurtre sur dix sont résolues, selon les chiffres officiels. Et ceux qui en ont les moyens comptent plutôt sur des compagnies privées pour assurer leur sécurité. "Alors, qu'est-ce qu'on fait?" relance le policier.
Au volant d'un SUV rouge flambant neuf, la Française de 40 ans jette un rapide coup d'œil à l'arrière. Sa fille dort dans son siège enfant. Le moteur a déjà eu le temps de refroidir.
Pas convaincue d'avoir dépassé la vitesse autorisée, elle hésite entre y laisser une somme modique ou partir dans un long argumentaire avec le policier déterminé à empocher quelques billets. A côté, sur un fourgon de police, s'affiche crânement un numéro de téléphone pour une "hotline anticorruption".
"Même si vous êtes ivres"
"Ils veulent se faire un peu d'argent avant le weekend pour boire", lâche blasé Lwando, chauffeur Uber de 25 ans, rencontré par l'AFP. Passant une bonne partie de ses heures à sillonner les routes de la mégalopole sud-africaine, il est formel: les contrôles se multiplient en fin de semaine.
Lire aussi : Nouveau délai dans le procès Zuma/Thales en Afrique du SudAu total, selon le rapport 2021-2022 de la police, plus de 36.000 barrages routiers ont été organisés par la police en un an, soit près d'une centaine par jour dans le pays.
"Même si vous êtes ivres et pas en état de conduire, tant que vous avez de l'argent, ils vous laissent partir", poursuit le chauffeur d'un air réprobateur, ajoutant que les montants réclamés dépendent "de la cupidité du flic".
Selon une agente des affaires internes interrogée par l'AFP sous couvert d'anonymat, les policiers corrompus ne font pas de distinguo, des cas étant régulièrement signalés sur les axes de riches quartiers d'affaires comme dans les townships. "Il s'agit simplement de tendances opportunistes de la part de certaines personnes qui en veulent toujours plus", dit-elle.
Ces méthodes "entraîneront la chute de toute l'organisation et de tous ses membres car pour le public, c'est la police toute entière qui est corrompue", estime une policière haut-gradée interrogée par l'AFP, qui n'a pas non plus souhaité donner son nom.
Près de 160 cas de fraude et corruption impliquant des policiers ont été signalés en 2021-2022, selon les chiffres officiels. Le phénomène existe ailleurs en Afrique et dans le monde. Selon un rapport de Transparency International, un Africain sur quatre a payé un pot-de-vin au cours de l'année 2018, auprès de services publics ou de la police.
"Une enquête pénale et disciplinaire est ouverte pour chaque cas de corruption présumée", assure à l'AFP une porte-parole de la police, Brenda Muridili. "Il y a bien sûr un ou deux pourris dans nos rangs mais la plupart des policiers travaillent dur", dit-elle, appelant à ne pas généraliser.