Ballon rond ou mariage : des Algériennes face à un dilemme

Les filles se voient contraintes de choisir entre le mariage, synonyme d'une fin de carrière dans le football, et le célibat pour vivre leur passion.

"A sept ans, en sortant de l'école, je balançais mon cartable et j'allais jouer au foot avec les garçons du quartier", se remémore Fathia. Vingt ans plus tard, la milieu de terrain n'a pas renoncé aux crampons.

Sur la pelouse du stade de Relizane, à l'ouest d'Alger, elle se démarque avant de faire une passe décisive. Fathia, qui est aussi membre de l'équipe nationale, s'entraîne avec ses 14 camarades sous le regard exigeant de leur entraîneur, Sid Ahmed Mouaz.

En 1997, alors que la guerre civile faisait rage dans le pays, M. Mouaz, quelques passionnés de foot et des pionnières ont lancé l'équipe féminine +Afak Relizane+, l'une des premières en Algérie - qui en compte une dizaine aujourd'hui.

A l'époque, les islamistes armés interdisaient tout sport féminin, malgré une instruction ministérielle appelant au contraire à encourager l'activité sportive des filles.

Relizane est sortie de l'anonymat en 1997 avec le pire massacre de la "décennie noire", plus de 1.000 morts. "Les terroristes m'avaient envoyé une lettre pour exiger l'arrêt du foot féminin," confie l'entraîneur qui leur a tenu tête.

"Des filles se sont fait insulter, cracher dessus à la sortie du stade (...) Pour certains esprits rétrogrades encore aujourd'hui, une fille de bonne famille ne joue pas au foot", déplore-t-il.

"Rentre chez toi faire la cuisine" ou encore "trouve-toi un mari" sont des phrases que la plupart des filles ont entendu un jour.

Issues majoritairement de milieux modestes, les joueuses ont réussi à convaincre leurs proches d'accepter leur passion, en dépit des préjugés et d'une reconnaissance financière quasi inexistante.

Dans le stade, elles ont leur "pavillon": un dortoir, quelques armoires, une télévision et une chaine hifi. Après les entraînements, grâce au wifi, elles discutent avec le monde extérieur via Facebook, l'oreille scotchée à leur smartphone.

Le club, qui ne les rémunère pas, les encourage à continuer une formation ou leur trouve un travail qui leur permette de vivre.

Arrêter le ballon

A Relizane, une ville populaire de près d'un million d'habitants, nichée au coeur d'une région agropastorale, quasiment toutes les femmes sont voilées.

"Je suis fière de ma fille mais je serais plus tranquille si elle arrêtait le ballon, se mariait et se voilait comme les autres femmes de la région", lâche Fatma, la mère de Fathia.

Cette veuve et mère de six enfants n'a qu'une angoisse: mourir avant que sa fille ne trouve un mari.

Chaque fois qu'elles sont "approchées" par un garçon, c'est le même refrain, regrettent les joueuses: "le ballon ou le mariage".

Les filles se voient contraintes de choisir entre le mariage, synonyme d'une fin de carrière dans le football, et le célibat pour vivre leur passion.

Mouna, attaquante, laissera tomber le ballon rond en mars après son mariage.

"S'il y avait des motivations, elles continueraient à jouer même après le mariage", veut croire leur entraîneur. Mais aucun sponsor ne s'intéresse à l'équipe des filles, et les caisses sont souvent vides, dans un pays où le foot féminin reste amateur.

Le budget annuel accordé par la préfecture au club de Relizane est de 3,2 millions de dinars (27.000 euros) et une victoire en Coupe d'Algérie rapporte au club 1,5 million de dinars (12.800 euros). Quant au championnat, il ne vaut à l'équipe lauréate qu'un trophée.

12 euros par victoire

Pourtant le club de Relizane a dominé ces dernières années toutes les compétitions nationales face aux équipes de grandes villes, comme celle d'Alger centre, en remportant depuis 2009 six coupes et sept championnats d'Algérie, en plus de deux coupes maghrébines.

Une fierté pour la ville, admettent certains habitants.

Mais quand les filles jouent à domicile, peu de Relizanis se déplacent pour les soutenir.

"On ne finance pas une équipe de foot féminine à Relizane", déplorent plusieurs joueuses déçues de bénéficier de si peu de considération alors qu'elles excellent dans leur domaine. Six d'entre elles jouent en équipe nationale.

Sur le parking du stade, le contraste est saisissant entre le luxueux bus des hommes, aux couleurs des sponsors, et le mini-bus sans fard des joueuses.

Quand elles remportent un match, elles reçoivent 1.500 dinars (12 euros), "une misère" selon M. Mouaz.

Pour leur dernière victoire, le wali (préfet) a reçu les filles pour "les honorer". Alors qu'elles espéraient un petit geste financier, elles se sont vu offrir un sac de sport et un survêtement.

"Tout a été fait pour casser cette équipe mais l'amour du foot est plus fort que les esprits rétrogrades", résume l'un des fondateurs d'Afak Relizane.

Avec AFP