M. Yildirim, 60 ans, sera le seul candidat dimanche lors d'un congrès extraordinaire du Parti de la justice et du développement (AKP) et succèdera ainsi au Premier ministre, M. Davutoglu, qui a annoncé récemment son départ à la suite de divergences avec M. Erdogan.
Ministre des Transports presque sans discontinuer depuis 2002, Binali Yildirim a été le maître d'oeuvre des projets d'infrastructure pharaoniques impulsés par M. Erdogan. Son prochain chantier, selon les analystes, consistera à piloter la présidentialisation du régime que le chef de l'Etat appelle de ses voeux.
Dans son discours d'acceptation jeudi à Ankara, M. Yildirim a annoncé la couleur en s'engageant à travailler "en harmonie totale" avec M. Erdogan, qu'il accompagne depuis l'élection de ce dernier à la mairie d'Istanbul en 1994.
Après l'élection du nouveau chef de l'AKP dimanche, M. Davutoglu devrait remettre sa démission à M. Erdogan qui confiera à son successeur la tâche de former un nouveau gouvernement.
L'arrivée à la tête du gouvernement d'un homme lige permettra au président d'asseoir son autorité sur l'exécutif et tourner la page Davutoglu, avec lequel des dissensions ont brusquement affleuré au début du mois, notamment sur la reprise des négociations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Par contraste, M. Yildirim s'est rendu jeudi dans la province de Diyarbakir (sud-est) où il s'est engagé à "débarrasser" la Turquie de "la calamité du terrorisme", embrassant la ligne dure fixée par M. Erdogan contre les rebelles kurdes.
"Que notre peuple se rassure, nous ferons ce qu'il faut pour y parvenir", a-t-il déclaré depuis le hameau de Tanisik, endeuillé par la mort de 16 villageois la semaine dernière dans l'explosion d'un camion piégé, où il est arrivé en hélicoptère, selon un photographe de l'AFP.
- 'Travailler avec et pour le président' -
L'éviction de M. Davutoglu a plongé dans l'expectative l'Europe, où cet ex-chef de la diplomatie, artisan côté turc de l'accord sur les migrants du 18 mars visant à réguler le flux de migrants vers l'UE, était perçu comme un interlocuteur fiable.
M. Yildirim est lui un novice sur les questions de politique étrangère. L'ouverture du premier Sommet humanitaire mondial lundi à Istanbul, auquel assistera notamment la chancelière allemande Angela Merkel, sera peut-être l'occasion d'un premier contact.
M. Erdogan a récemment multiplié les coups de menton en direction de Bruxelles, plongeant dans l'incertitude un accord d'exemption de visa pour les citoyens turcs voulant se rendre dans l'espace Schengen, un élément central du pacte plus large sur les migrants.
M. Yildirim s'est rapidement imposé comme le candidat favori au sein de l'AKP, formation créée en 2001 par M. Erdogan, qui en tient toujours les rênes même si le chef de l'Etat est censé être au-dessus de tout parti au regard de la Constitution.
"Dimanche soir (après le congrès extraordinaire de l'AKP, ndlr), la fonction de Premier ministre aura changé de sens", a déclaré à l'AFP Fuat Keyman, directeur du groupe de réflexion Istanbul Policy Center. "Le président deviendra le chef de l'exécutif. Le Premier ministre (...) travaillera avec et pour le président", a-t-il ajouté.
La perspective de voir M. Erdogan renforcer encore son pouvoir inquiète ses détracteurs, qui accusent de dérive autoritaire celui qui multiplie les poursuites pour "insulte" contre les journalistes et réclame la levée de l'immunité des parlementaires prokurdes, qui pourraient être jugés pour leur soutien présumé aux rebelles kurdes du PKK.
Après le choc causé par l'annonce du retrait de M. Davutoglu, l'AKP a démenti les rumeurs de divisions dans ses rangs. "Il n'y a pas un millimètre d'écart entre les cadres de l'AKP et le président", a dit jeudi le porte-parole du parti Omer Celik.
Mais les marchés redoutent de voir M. Erdogan étendre son emprise sur la gestion de l'économie, domaine dans lequel il fait preuve d'un interventionnisme croissant. Signe de cette inquiétude, la livre turque a perdu 5% face au dollar au cours du dernier mois.
Avec AFP