Les Grammy Awards 2018, le 28 janvier au Madison Square Garden de New York, devraient être la consécration de leur carrière. Mais des membres d’anciens orchestres de Bobo-Dioulasso, dans l’ouest du Burkina Faso, ignoraient que leur musique - sur une compilation de trois disques dont ils ignorent aussi l’existence - avait été nominée pour deux Grammys Awards. Ils ne l’ont appris que cette semaine, et leur colère est palpable.
"En tant que musicien, je suis complètement déçu d’apprendre que nous avons passé le temps à râler, à trimer, et que quelqu’un d’autre a tout bonnement fait une compilation qui va être primée", confie à VOA Afrique Stanislas Soré, l’un des musiciens du groupe Volta Jazz, dont les chansons font partie de la dizaine de morceaux contenus dans Bobo Yeye, Belle époque en Haute Volta.
Il s’agit d’une compilation d'enregistrements des années 1970 réalisés à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso. Le producteur français Florent Mazzoleni a pris l’initiative de créer cette compilation sur trois CD produits par la maison Le Numero group à Chicago.
"Ce sont des artistes que j’admire depuis toujours, et j’ai écrit une vingtaine de livres sur les musiques africaines, dont un livre en 2015 qui s’appelle Burkina Faso, musique moderne voltaïque", explique M. Mazzoleni joint au téléphone à New York par VOA Afrique.
"C’est pour rendre hommage à tous ces gens de l’ombre qui ont écrit la culture de Bobo-Dioulasso. La Haute Volta, à l’époque, c’était un pays pauvre, il n’y avait pas de moyens de communication, les gens ont enregistré avec ce qu’ils pouvaient, et pourtant ils ont réussi à créer une des musiques modernes les plus fascinantes du continent", a-t-il assuré.
Your browser doesn’t support HTML5
Les artistes, eux, accusent Florent Mazzoleni de n’avoir pas joué franc-jeu. Pour eux, il était venu discuter d’un projet de livre.
"Tout ce que moi je sais, c’est qu’il y a un Blanc qui est passé ici ; il a essayé d’avoir des informations sur la vie des orchestres d’antan. Comment les orchestres évoluaient, combien il y avait d’orchestres, la manière de jouer la musique, la composition des groupes et consorts. Pour nous, c’était dans le cadre de faire un historique de ce qu’on appelle la musique d’antan. Mais quant à parler d’une compilation ou des trucs comme ça, on n’a jamais fait cas de ça, jamais jamais, jamais", insiste Stanislas Soré de Volta Jazz.
Nouhoun Traore Banakourou, guitariste saxophoniste du groupe Echo Del Africa, est du même avis. Il reconnait avoir collaboré avec Florent Mazzoleni, mais uniquement sur un projet de livre sur la musique, pas sur une compilation.
"Ce qu’il est en train de faire maintenant et ce qu’il m’a proposé, ce n’est pas la même chose. Quand il est venu pour prendre mon nom et aller faire le livre, mon fils a demandé qu’il me donne quelque chose. Il m’a donné 200.000 francs CFA ce jour-là", se rappelle Nouhoun Traoré.
"Il a pris la bande de notre patron, Tanou Bassoumalo, une bande pourrie, et m’a dit qu’il va aller voir s’il peut récupérer ça. Il est parti, il n’est plus revenu. Il ne m’a pas appelé, il n’a rien dit après."
Le producteur français nie toutes ces allégations. Il soutient avoir suivi toutes les démarches qu’il faut. "J’ai toutes les autorisations, tous les contrats", se défend-il.
"J’ai rencontré les fondateurs du groupe, les gens qui avaient les contrats à l’époque, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Evidemment, je ne peux pas rencontrer tout le monde. Evidemment quand tu as un projet comme ça qui sort, et qu’on en parle et qui est au Grammy Awards, ça attire l’intérêt de certaines personnes."
Quelle que soit l’issue dimanche, cette nomination aux Grammy Awards propulse la musique burkinabè, sur la scène mondiale, malgré la polémique.