La diaspora camerounaise boycotte les artistes ayant soutenu Paul Biya

Le président du Cameroun, Paul Biya, au bureau de vote du quartier de Bastos à Yaoundé, le 7 octobre 2018.

Des artistes ayant soutenu le président Paul Biya sont boycottés par un mouvement de la diaspora camerounaise, dénommé "Brigade anti-sardinards", qui a vu le jour après la victoire de Paul Biya.

Amah Pierrot, un artiste-musicien et résidant du Cameroun, s’est toujours produit jusqu'ici hors du pays, sur invitation de la diaspora camerounaise.

Il est aussi connu comme l'un des artistes préférés de l'épouse du président, Chantal Biya. Le 6 octobre dernier, l’artiste Amah Pierrot a pris part au concert de fin de campagne du président Paul Biya à Yaoundé.

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Reportage d'Emmanuel Jules Ntap sur le boycott des artistes camerounais et soutiens de Biya

Pour ou contre Paul Biya?

"Mon choix est unique et il reste à vie", soutient Amah Pierrot avec un air de grande fierté. Et ce, malgré le fait que son calendrier a subi des modifications à cause des activistes du mouvement "anti-sardinards."

"J’avais des spectacles au Canada, aux États-Unis, en France. Tous ont été annulés parce que les gens disent que nous avons soutenu Paul Biya. Il n y a pas de problème pour cela", dit-il, non sans dénoncer "l'immixtion du tribalisme" dans cette affaire.

Affiche annonçant le concert pour la campagne de Paul Biya à Yaoundé, le 12 novembre 2018.

Les artistes comme Lady Ponce, Coco Argenté, K-tino, Karynce Fotso, et les humoristes comme Moustik le Karismatic et Kaïser Show, avaient eux aussi répondu à l’appel du concert de soutien à Paul Biya.

Au moins quatre spectacles que devaient animer certains de ces artistes ont été annulés par les autorités en France et en Allemagne, depuis le 31 octobre dernier.

Les chanteuses K-Tino, Coco Argenté, ont été les premières victimes de cette campagne de boycott par la diaspora camerounaise.

A chaque occasion, les activistes du mouvement "brigade anti-sardinards", ont organisé des sit-in de protestation contre ces artistes.

"Il n’y a plus de concert pour vous, en Europe, en Amérique, au Canada, même en Afrique, nous allons prendre des dispositions là- bas", lance dans une vidéo postée sur YouTube, Emmanuel Kemta, l’un des activistes.

"Le pays souffre, mais vous vous amusez comme ça? Vous partez chanter pour Paul Biya? A-t-il donné de l’eau, des routes, de l’électricité au Camerounais?", demande-t-il sur cette vidéo aux artistes ayant soutenu le candidat Biya.

Liberté de choix en question.

Ce sont des menaces à peine voilées et "à caractère politique", fait remarquer l’artiste camerounais baptisé "Echos du Palais". Ce dernier est l'auteur compositeur d’un célèbre chant à l’honneur du chef de l'Etat. "Paul Biya, Paul Biya, notre président, chef de la nation, Paul Biya connait les camerounais", disent les paroles.

Echos du palais", un artiste engagé pour Paul Biya, à Yaoundé, le 12 novembre 2018.

"Les artistes Longué Longué et Valsero ont soutenu ouvertement d'autres candidats pendant l'élection présidentielle. On ne leur a pas lancé des pierres pour autant. Nous sommes dans un contexte de démocratie et chacun est libre de ses choix", rappelle l’artiste "Echos du palais", qui est aussi l’un des administrateurs de la Société nationale camerounaise de l’art musical (Sonacam).

Le boycott de certains artistes par la "brigade anti-sardinards" ne laisse pas indifférents les résidents de Yaoundé et d'autres artistes rencontrés par VOA Afrique.

"Cette situation peut amener des conflits et des problèmes. Il est vrai que les camerounais souffrent, et dans la colère, ils prennent certaines décisions, mais ce n’est pas bien ce que font ces camerounais de la diaspora", pense Jean Pierre.

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Quant à l'artiste Don Compadré, Il estime que ses collègues sont en réalité entre le marteau et l'enclume.

"Si les artistes locaux disent qu’ils tournent le dos au Rdpc, ils vivent dans le pays du RDPC. S’ils disent qu’ils tournent le dos à la diaspora, ils sont appelés à voyager puisqu’il n’y a rien de profitable pour l’artiste ici au pays. Donc c’est très grave cette situation-là", estime-t-il.

Pour sa part, Narcisse Mouelle Kombi, le ministre camerounais de la Culture s’est exprimé sur cette question: "Ces actes sont inacceptables, en tant que manifestation abjecte de l’intolérance... Je condamne les dits agissements, dans la mesure où ils constituent une atteinte grave à la liberté d’opinion et d’expression", a-t-il déclaré.

Le parti de Kamto à la manœuvre ?

Certains analystes politiques croient fermement que ce mouvement "brigade anti-sardinards", est lié au MRC, le parti de l'opposant Maurice Kamto, qui conteste la victoire de Paul Biya à l'élection présidentielle du 7 octobre dernier.

"La très grande majorité de ces activistes se revendiquent proches ou militants du MRC", soutient Moussa Njoya, doctorant et enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Yaoundé II.​

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"Lors des différentes marches et actions coup de poing contre les artistes camerounais, vous verrez une photo de Maurice Kamto, vous entendrez des gens scander 'Non au hold-up électoral', en revendiquant que le président Maurice Kamto soit restauré. Il ne fait aucun doute que le MRC soit derrière la brigade anti-sardinards", analyse M. Njoya.

Officiellement, le parti de M. Kamto ne s'est pas encore prononcé sur le mouvement dit "brigade anti-sardinards".

VOA Afrique a appris que le conseil d’administration de la Société nationale camerounaise de l’art musical va inscrire à l’ordre du jour le sujet du boycott de certains artistes camerounais par "la brigade anti-sardinards" lors de sa prochaine assise.