"Nous sommes en alerte nuit et jour pour protéger notre ville d'autres attaques kamikazes de Boko Haram", assure Modo, membre du comité de vigilance de Fotokol. Frontalière du Nigeria, cette ville camerounaise est la cible d'incessantes attaques des islamistes nigérians, du harcèlement armé aux attentats-suicide.
Ici, comme dans d'autres localités de l'Extrême-Nord du Cameroun, des groupes de civils s'organisent depuis plus d'un an pour traquer les combattants de Boko Haram. Outre ses raids meurtriers, Boko Haram a perpétré depuis juillet au moins 16 attentats-suicides dans la région, tuant plus de 100 habitants.
Mais le bilan serait bien plus élevé si, dans certains cas, des membres de comités de vigilance n'étaient pas intervenus à temps. Ainsi, le 9 novembre à Fotokol, l'un d'eux, Danna, 20 ans, a permis d'éviter un carnage.
"Danna a repéré deux jeunes filles suspectes. Il a essayé de neutraliser, avec ses bras, l'une d'elles, mais elle a déclenché l'explosif qu'elle portait", tuant Danna ainsi que deux autres civils, raconte Modo, contacté par téléphone depuis Yaoundé. "Grâce à lui, les kamikazes ne sont pas arrivées au marché comme elles l'envisageaient", souligne-t-il.
Parties de la ville nigériane de Dikwa, située à 70 km de Fotokol, les deux kamikazes avaient passé la nuit avant l'attentat chez une parente, une réfugiée nigériane installée dans la ville camerounaise.
Depuis 2012, le groupe nigérian a constitué au Cameroun un réseau de complices qui lui a facilité la planification, dès 2013, de prises d'otages d'occidentaux, et a assuré un trafic d'armes, de véhicules et de marchandises, selon des sources sécuritaires camerounaises. En août 2014, le Cameroun a engagé une guerre pour fragiliser ce réseau, sans pouvoir le démanteler.
Aujourd'hui, la porosité de la frontière, le recrutement de jeunes Camerounais, l'appartenance de combattants à des familles exilées au Cameroun et l'infiltration des milieux sécuritaires camerounais notamment permettent à Boko Haram d'organiser des attentats, explique une source sécuritaire.
Les kamikazes partent généralement du Nigeria: une fois en territoire camerounais, ils trouvent facilement des familles d'accueil qui les logent. Ils ciblent principalement les lieux de fortes concentrations humaines comme les marchés, les buvettes et les alentours des mosquées.
Les explosifs tuent en général sur "un rayon de 50 mètres", explique un officier du Bataillon d'intervention rapide (BIR), unité d'élite de l'armée en première ligne de la lutte contre Boko Haram. Selon lui, les kamikazes sont jeunes, filles et garçons.
"Nous pensons que les explosifs sont assemblés au Nigeria, avec des sous-munitions récupérées lors des attaques des bases militaires.
"Endoctrinement très poussé"
Dans la plupart des cas, les explosifs sont déclenchés par les porteurs, selon l'officier du BIR. "Les kamikazes sont généralement conscients de ce qu'ils font" après être passés par "un processus d'endoctrinement très poussé".
Certains kamikazes agissent sous l'effet de la drogue: "leurs chefs leur font prendre du Tramol (drogue prisée dans plusieurs pays de la région) et du chanvre indien avant de les envoyer en mission commandée", explique la source sécuritaire.
Le déploiement des groupes de vigilance s'amplifie à mesure que Boko Haram multiplie ses attaques.
Ces civils opèrent généralement avec des armes blanches (machettes, couteaux et lances), vont au plus près des islamistes, constituant en sorte un "bouclier" local entre djihadistes et militaires camerounais.
"Nous sommes devenus comme des soldats. Nous traquons les Boko Haram", raconte sous anonymat l'un d'eux, dans le village d'Amchidé. Plus de 200 hommes de la ville sont engagés au sein du groupe de vigilance, surveillant les principaux points d'accès.
Située près de Banki, ville nigériane contrôlée durant plusieurs mois par Boko Haram avant d'être reconquise récemment par l'armée nigériane, Amchidé a été l'un des épicentres du conflit opposant les soldats camerounais aux islamistes nigérians. Policiers et gendarmes ont déserté Amchidé depuis plusieurs mois. Depuis, le comité de vigilance occupe commissariat et gendarmerie.
Il a arrêté 50 islamistes présumés depuis décembre 2014, après avoir élaboré une liste de plus de 200 potentiels membres de Boko Haram, dont des jeunes de la ville, selon le membre du groupe. "Cela nous a permis d'en arrêter 30 en cinq jours au mois d'août. Nous sommes allés en brousse pour leur tendre des embuscades". Des indices comme "l'accoutrement ou les tatouages" de suspects aident aussi les "vigilants", qui informent et guident les militaires du BIR.
Mais, en retour, les comités de vigilance constituent une cible privilégiée pour Boko Haram. Quatre d'entre eux à Assighassia ont ainsi été abattus le 13 novembre par des islamistes lors de leur incursion dans la ville camerounaise. Deux jours après, deux ont été tués dans la zone de Limani, près d'Amchidé.
AFP