Vaste campagne contre les mariages précoces à Yaoundé

Elèves de l’école franco-arabe de la Briqueterie, un quartier populaire, foyer du mariage précoce à Yaoundé, Cameroun, 6 mars 2017. (VOA/ Emmanuel Jules Ntap)

Dans l’école franco-arabe du quartier Briqueterie à Yaoundé, quelques jeunes filles voilées s'apprêtent à prier. Elles ont entre 9 et 11 ans. A cet âge-là, certaines ont été mariées de force.

Le mariage précoce n’est donc pas un sujet nouveau aux oreilles de ces petites filles qui, l’an prochain, devront entrer au cycle secondaire.

"Ma camarade, parce qu’elle ne va pas à l’école, son père a décidé de la marier. Elle avait entre 14 et 15 ans ", nous confie une jeune élève un peu apeurée de la présence de son enseignant pendant l’enregistrement.

Les jeunes filles en prière dans l’enceinte de l’école franco-arabe de la Briqueterie, un quartier populaire, foyer du mariage précoce à Yaoundé, Cameroun, 6 mars 2017. (VOA/ Emmanuel Jules Ntap)

Une autre élève de la même salle de classe laisse étaler les prétextes utilisés dans ce quartier populaire pour faire prospérer le mariage précoce.

"J’ai appris que beaucoup de petites filles sont un peu turbulentes, c’est pour cela qu’on les envoie en mariage ", déclare-t-elle toute naïvement.

Fort heureusement, elle et sa camarade de classe ont échappé au mariage précoce.

Sauf qu’en la matière, ici, les points de vue des victimes ne comptent pas toujours.

"J’ai appris que beaucoup de petites filles sont un peu turbulentes, c’est pour cela qu’on les envoie en mariage ".
Une jeune fille de l’école franco-arabe du quartier Briqueterie à Yaoundé

D’ailleurs, la liberté de ton de ces deux petites filles sur le mariage précoce contraste avec celle de l’administration et du personnel enseignant de l’école.

"Ce sujet est très sensible et heurte les conceptions traditionnelles, voire religieuses du mariage", nous glisse à demi-mots, hors micro, une responsable de l’école franco-arabe construite sur fonds privés islamiques.

Raison pour laquelle, "l’école franco-arabe du quartier Briqueterie ne fait aucune sensibilisation à ce propos", renchérit-elle.

Rabeantoandro Haingo Manga, jeune dame d'origine malgache, dirige l'antenne de l'association de lutte contre les violences faites aux femmes à Yaoundé, Cameroun, 6 mars 2017. (VOA/ Emmanuel Jules Ntap)

Ainsi, les dénonciations ont lieu par le canal des associations. Certaines jeunes filles victimes de mariages précoces préfèrent s’y confier.

L’une de ces associations est basée dans ce quartier populaire. Elle lutte contre les violences faites aux femmes dans quatre régions du Cameroun.

Rabeantoandro Haingo Manga Ada, jeune malgache mariée à un Camerounais, est la directrice de l’antenne de Yaoundé.

"Nous avons deux cas sous la main depuis février 2017. Ils concernent le quartier Briqueterie", explique avec beaucoup d’engagement Mme Manga Ada.

Dans les détails, elle précise que le premier cas concerne une jeune fille mariée "islamiquement par sa tante, il y a 7 ans. Tout récemment, comme la jeune fille ne sait ni lire ni écrire, sa belle famille lui a fait signer un papier par lequel elle s’engageait dans le mariage polygamique sans le savoir", relate Mme Manga Ada.

La jeune fille mariée précocement, après avoir accouché de quatre enfants, est actuellement abandonnée par le mari qui, est polygame"
Rabeantoandro Haingo Manga Ada, directrice de l’antenne de Yaoundé d'une association luttant contre les mariages précoces

Pour le deuxième cas, l’association de lutte contre les violences faites aux femmes a constaté que, "la jeune fille mariée précocement, après avoir accouché de quatre enfants, est actuellement abandonnée par le mari qui, est polygame", dénonce Mme Manga Ada.

Sans revenus pour survivre, la jeune fille abandonnée est rentrée avec sa progéniture sous le toit de ses parents.

Une école pilote contre le mariage des enfants à Yaoundé

Pour renverser la tendance des hausses de mariages précoces, la sensibilisation des jeunes filles et parents d’élèves s’est déportée dans une école publique située à la lisière du quartier Briqueterie.

Cette école est devenue une unité pilote pour les organismes internationaux depuis quelques années. Son choix ne s’est pas fait au hasard.

"Plan Cameroun -une structure internationale de soutien à l’épanouissement des enfants- vient sensibiliser les jeunes filles et les parents pour éviter les cas de mariages précoces ici", affirme Mme Djoussi Berthe, directrice de l’école publique groupe 1 d’Ekoudou.

Le message véhiculé à l’occasion est simple, l’éducation de la jeune fille passe avant le mariage.

"Plusieurs cas de jeunes filles mariées précocement ont été enregistrés dans notre école", explique Mme Djoussi.

Mme Djoussi Berthe, Directrice école publique groupe 1 d’Ekoudou, une école primaire publique située à la lisière du quartier Briqueterie, à Yaoundé, Cameroun, 6 mars 2017. (VOA/ Emmanuel Jules Ntap)

Avec une telle résistance, la vaste campagne de lutte contre les mariages précoces implique les dignitaires musulmans qui relaient de plus en plus ce message dans les mosquées.

"Si on trouve encore certains cas, c’est en contradiction avec ce qui est mentionné dans les textes révélés. Les imams, les prédicateurs, ceux qui portent les conseils et ceux dont les voix sont entendus ont toujours besoin de multiplier les efforts dans la sensibilisation d’un certain nombre de parents sur la question des mariages précoces ", se défend Dr Hayatou Mohammadou, responsable de la prédication dans la région du centre, pour les deux mosquées de Yaoundé.

Dr Hayatou Mouhammadou, responsable de la prédication dans le centre, les deux mosquées de Yaoundé, Cameroun, 6 mars 2017. (VOA/ Emmanuel Jules Ntap)

Reste à vaincre les pesanteurs de la pauvreté dans ce quartier populaire de la Briqueterie où, parfois, pour rembouser une dette, les petites filles sont données en mariage en contre partie.

La loi camerounaise prévoit jusqu’à 10 ans d’emprisonnement contre toute personne qui contraint au mariage une fille de moins de 18 ans.

Reportage d’Emmanuel Jules Ntap à Yaoundé