"L'autre jour j'étais dans un salon avec 3LAU, mon DJ préféré, lors d'un moment historique, pour une vente aux enchères (d'objets numériques, ndlr). Il y avait sa famille, et nous tous sur Clubhouse, on était un millier je crois, c'était un moment très intime" raconte Taz Zammit, une créatrice de contenus australienne, encore émue d'avoir pris part à l'événement.
"C'est ce genre de salons dont vous ne pouvez tout simplement pas partir, c'est juste trop bien", insiste la jeune femme qui espère bientôt se lancer sur Clubhouse en plus de TikTok, Instagram et YouTube.
Lancée au printemps dernier, l'application permet d'écouter des discussions en direct, et parfois d'y participer, sur des thèmes aussi variés que "Comment apprendre à coder", la méditation ou encore des jeux de culture générale.
L'étoile montante des réseaux, déjà valorisée à 1 milliard de dollars, n'est accessible que sur iOS (Apple) et sur invitation. Mais grâce aux confinements de la pandémie et à des apparitions de célébrités comme l'entrepreneur Elon Musk, elle attire désormais 10 millions d'utilisateurs toutes les semaines.
"Ce n'est pas juste une mode. Clubhouse est là pour rester", commente Judyth Jernudd, coach et ancienne présentatrice de télévision. "Vous avez accès à toutes ces différentes perspectives, et vous faites partie de la conversation. Et beaucoup d'entre nous l'utilisent pour tester des idées d'émissions et de sujets".
Intime et authentique
Clubhouse répond à des besoins non satisfaits par les plateformes dominantes: prendre le temps, interagir avec des professionnels, se reposer les yeux, se divertir en faisant des tâches répétitives, et aussi créer de "l'intimité" et des "liens authentiques", deux concepts omniprésents.
Elle fait déjà de nombreux émules. Selon la rumeur, Facebook travaille à un concept similaire, provisoirement baptisé Fireside ("au coin du feu").
Et Twitter teste depuis décembre les "Spaces". "C'est un produit formidable pour les personnes qui trouvaient difficile d'engager des conversations plus nuancées et plus dans l'empathie", constate Nikkia Reveillac, directrice de la recherche du groupe californien.
"C'est aussi appréciable pour les utilisateurs qui s'inquiètent de la permanence des tweets".
Ces nouveaux formats préfigurent un monde où, peut-être, on regardera moins les écrans et où l'on communiquera plus à l'oral, tant avec les humains qu'avec les machines.
D'ici là, les passionnés de Clubhouse expérimentent d'autres façons d'écouter, d'animer, mais aussi de générer des revenus.
"Je viens d'aller dans un salon silencieux avec 2-3 personnes en train de travailler, qui se parlaient une fois par heure", s'émerveille Gary Henderson, le patron d'une boîte de marketing.
Il émet sa propre cryptomonnaie, le "GARY", pour monétiser son audience. "Vous pourrez échanger des 'GARY' pour venir sur scène ou avoir accès au salon VIP lors d'un événement de réseautage", explique-t-il.
Ressources humaines
Clubhouse doit bientôt tester des méthodes de rémunération, comme des pourboires, des tickets pour certains salons ou des abonnements. D'autres réseaux y ont déjà recours pour moins dépendre de la publicité.
"Il faut qu'ils se dépêchent, parce qu'on peut clairement s'épuiser à la tâche, surtout quand on apporte beaucoup de valeur ajoutée", note Toni Thai, une réalisatrice membre de l'Audio Collective, une association professionnelle de créateurs sur Clubhouse.
"J'ai mis de côté certaines idées, je ne veux pas les épuiser avant qu'on puisse monétiser", ajoute cette animatrice de plusieurs clubs, suivie par près de 200.000 personnes.
Elle pense que le réseau va devenir une plateforme plus structurée, comme Spotify ou Netflix, avec un meilleur système de recommandations, et peut-être aussi des podcasts.
Clubhouse prépare son ouverture au plus grand nombre, et va donc être de plus en plus confrontée aux problèmes de modération des échanges. En octobre, l'entreprise a fait le point sur ses valeurs - condamnant toutes les formes de racisme - et rappelé les règles.
Les modérateurs amateurs se trouvent parfois confrontés à des décisions délicates, dans un climat de tensions autour de nombreux sujets de société.
"J'étais dans un salon LGBT+ quand un animateur a coupé le micro d'une personne de l'audience parce qu'il a considéré ses propos comme problématiques vis-à-vis des personnes transgenres", relate Taz Zammit.
"Mais au final nous avons continué à parler longtemps du fait qu'on ne peut pas réduire au silence les personnes avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord".
En Europe, l'application a aussi fait l'objet de questions sur son utilisation des données privées de ses utilisateurs, ou sur sa sécurité technique. En France, par exemple, le gendarme des données personnelles (Cnil) a annoncé cette semaine l'ouverture d'une enquête.