De la forfaiture, la démocratie au Congo en berne.
Nous sommes un groupe de prêtres et de militants chrétiens de l’Eglise catholique au Congo. Nous vivons au milieu des gens, nous sommes témoins de ce qui a été vécu au niveau de nos quartiers.
L’événement dans sa simplicité tragique se résume en deux courtes phrases : les autorités de notre pays ont convoqué à deux reprises le peuple Congolais pour qu’il s’exprime souverainement sur le changement de la constitution d’abord et sur la réélection du Président de la République pour un troisième mandat ensuite. À deux reprises le peuple s’est exprimé très clairement et à deux reprises on a fait semblant de croire qu’il approuvait ce qu’en fait est massivement refusé.
La frustration populaire est considérable, la crise de confiance dans les institutions de la République est radicale. Celles-ci ne reposent plus désormais sur la volonté souveraine du peuple Congolais mais sur ce qu’il faut bien appeler un mensonge d’Etat dont le cynisme et la technicité laissent pantois tous les observateurs de notre vie politique nationale. Notre pays est sorti de l’Etat de droit. Quand bien même nos évêques en décembre 2014, dans leur adresse au peuple de Dieu et au monde politique appelaient au non changement de la constitution et à l'alternance pacifique et démocratique. (Référence au message de Noël 2014).
Deux chiffres officiels illustrent cette imposture. Selon les résultats publiés par la Commission électorale indépendante, la participation au référendum à Pointe Noire aurait été de 75 % des électeurs inscrits et leur participation à l’élection présidentielle n’aurait été que de 40%. Or, il est de notoriété publique que la population de Pointe Noire s’est abstenue massivement au référendum ; laissant déserts les bureaux de vote, alors que l’engouement populaire pour la présidentielle a été tout aussi massif. Beaucoup d’électeurs sont même revenus assister au dépouillement et ont attendu la publication du procès-verbal de leur bureau avant de se disperser dans le calme et rentrer chez eux en chantant la victoire de leur candidat qui n’était certes pas Denis Sassou NGUESSO.
Les méthodes de mobilisation d’électeurs acquis à la cause du pouvoir en place ont également été de notoriété publique ; la distribution des pagnes et des t-shirts et la négociation sur le montant des per diem aux « militants » ainsi que les récompenses après vote se sont effectuées sur la voie publique.
Les montants ainsi dépensés ont été considérables, au grand dam et au détriment de la population. Certains « militants » conscients de cette hostilité générale jugeaient même plus prudent de retirer ses signes d’allégeance au pouvoir avant de rentrer dans leurs quartiers respectifs.
Nous avons été à même de comparer à la veille de la présidentielle, la mobilisation artificielle au meeting du Président de la République avec la mobilisation populaire au meeting du général Jean Marie Michel MOKOKO. Celui-ci a vu le rassemblement spontané d’une foule immense, venue de tous les faubourgs de la capitale économique. Des gens qui ont patienté de 8 heures du matin à 18 heures et ont fait un accueil triomphal à leur candidat avant de se disperser dans le calme. Comment justifier le maigre compte rendu de ces évènements populaires dans la Semaine africaine? N’avions-nous pas des reporters sur place ? Comment concilier ces faits vécus par tous au grand jour avec les résultats publiés par la CNEI, trois jours après le déroulement du scrutin ?
Au cours de ces évènements troubles, nous voulons rendre témoignage à un mouvement qui mobilise sur des objectifs citoyens de qualité des militants chrétiens sous le label « Tournons la page ». Les actions bénévoles qu’ils ont menées à la base en vue de promouvoir en cette occasion la transparence électorale, sont celles qui doivent être encouragées et célébrées dans notre journal. Elles démontrent la possibilité de faire advenir à terme sur notre continent une démocratie authentique.
Nous observons, qu’à aucun moment, les opposants au Président de la République n’ont appelé à l’insurrection, ni à aucune action illégale. Les arrestations de personnalités ayant, en toute légalité, participé aux campagnes des candidats sont à nos yeux une grave atteinte à la démocratie.
Aussi, nous comprenons pourquoi, le gouvernement de la République a-t-il refusé l’accréditation à l’observation de la dernière élection présidentielle à la Conférence épiscopale du Congo, bien que celle-ci ait fait la demande depuis le 23 février 2016.
De même, rien à notre avis ne saurait justifier les massacres des populations dans le département du Pool, et l’énormité des moyens utilisés pour ce que l’on appelle une opération de police suscite l’émoi et l’indignation. Un abîme est en voie de se creuser entre, d’une part, une pseudo légalité qui ne repose que sur la violence d’un Etat en passe d’abolir le principe de la séparation des pouvoirs, et d’autre part la légitimité qui ne saurait résulter que d’institutions républicaines fonctionnant effectivement selon les règles du droit. Cette situation menace désormais gravement la paix dans notre pays.
Cette paix, nous entendons la préserver en s’abstenant de toute action susceptible de dégénérer en affrontements violents. Mais nous en appelons à la responsabilité des élites intellectuelles de notre pays. La documentation disponible pour le rétablissement de la vérité ne fait pas défaut. C’est un devoir pour toutes les compétences, scientifiques, littéraires, morales et techniques nationales de contribuer avec méthode et rigueur, par toutes voies légales au rétablissement de la vérité. Elle seule nous rendra libres. Un livre blanc de notre entrée en Ve République serait au bénéfice de la jeunesse de notre pays l’acquittement d’une véritable dette de notre génération ; une lampe allumée sur le chemin de notre avenir.
Nous souhaitons également nous adresser à ceux de nos amis et de nos parents qui ont œuvré à la mise en scène de cette ténébreuse entreprise électorale et tout particulièrement aux personnalités qui, aujourd’hui prennent la parole pour célébrer l’avènement au Congo d’une 5ème République. Les conséquences d’un mensonge d’Etat aussi manifeste sur les personnalités qui participent à sa construction sont dramatiques. Quand vous prenez le micro, le mensonge s’affiche sur votre visage. L’arnaque est si universellement connue qu’il n’y a plus aucun lieu sur la terre où l’auditoire le moins hostile à votre aventure ne puisse hocher la tête en vous écoutant disserter sur votre conception africaine de la démocratie.
L’Eglise apprécie le système démocratique, comme système assurant la participation des citoyens au choix politique et garantit aux gouvernés la possibilité de choix et de contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière politique lorsque cela s’avère opportun. Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise n°406. Il y a dans le mensonge un ridicule qui tue et, nous avons grande pitié de vous. Mais l’humiliation infligée à la Cour Constitutionnelle en point d’orgue de ce scénario électoral rejaillit, croyons-nous sur l’ensemble des élites intellectuelles de notre pays. Il fallait pour l’honneur de notre Nation que cela soit dit.
Que faire pour l’avenir ?
• Ouvrir un dialogue politique franc et sincère entre les différents hommes politiques sous le parrainage de l’Union Africaine, de la France, de l’Union Européenne et de l’Organisation Internationale de la Francophonie ;
• Créer un fichier électoral crédible biométrique avant tout autre scrutin ;
• Libérer tous les détenus politiques, garantir les libertés publiques ;
• Arrêter immédiatement les massacres injustifiés des populations innocentes dans le département du Pool ;
• Retirer immédiatement les éléments de la Force Publique déployés dans les quartiers et artères de nos villes et villages.
Fait à Pointe Noire, le 13 avril 2016
Le Collectif des prêtres et Laïcs de Pointe Noire.