"The Wound" ("Les Initiés" en français) du réalisateur sud-africain John Trengove dépeint une histoire d'amour homosexuelle sur fond de rite initiatique traditionnel de circoncision.
Début octobre, l'oeuvre a été retenue dans la première sélection des neuf films qui se disputeront le 4 mars prochain à Hollywood l'Oscar du "meilleur film étranger".
Mais le film, présenté comme "percutant et briseur de tabous", suscite déjà un tollé dans son pays, en particulier dans la communauté de l'ethnie xhosa où l'action se déroule.
"C'est un film audacieux et courageux", estime l'acteur sud-africain Niza Jay, âgé de 22 ans. "Cette histoire se devait d'être racontée. Les personnages xhosas décrits dans le film existent, ce sont des gens que je connais", ajoute-t-il.
Le jeune homme interprète Kwanda, un homosexuel branché de Johannesburg que son père envoie dans les montagnes de la province du Cap-Oriental (sud-est) pour participer à un rituel d'entrée dans l'âge adulte, l'ulwaluko.
Sur place, il rencontre Xolani (joué par Nakhane Touré), un initiateur sensible, réservé et homosexuel refoulé, chargé de l'accompagner pendant ce rituel sacré et secret.
L'intrigue prend un tour dramatique lorsque Kwanda découvre l'idylle qui lie Xolani à un autre initiateur, un père de famille prétentieux, alcoolique et violent.
"The Wound" ne se résume pas "seulement à une histoire homosexuelle dans les montagnes", il explore "la masculinité et la masculinité alternative", estime Niza Jay, qui porte à la ville talons hauts et cheveux avec des extensions.
Le film dépeint aussi le rite de la circoncision, la cérémonie au coin du feu, les soins - souvent de base - offerts aux jeunes initiés.
Tradition secrète
"L'ulwaluko est très important pour ma communauté. C'est un environnement où l'on apprend notre place en tant qu'homme, au sein de notre culture", explique Niza Jay, lui-même Xhosa, l'ethnie de Nelson Mandela.
Mais les représentants de la communauté xhosa ne l'entendent pas ainsi. S'ils assurent ne pas critiquer l'homosexualité des personnages principaux - le mariage gay est légalisé depuis 2006 en Afrique du Sud -, ils jugent impardonnable d'évoquer l'ulwaluko, que les non-initiés ne sont pas censés connaître.
"Le rituel ne doit pas être vu à l'écran, c'est un secret. Si nos enfants voient ça, ils ne voudront pas aller en montagne, alors qu'il s'agit de nos traditions. Et les femmes qui élèvent leurs fils seules pourraient avoir peur de les y envoyer", estime Nkosazana Bam, du Conseil des chefs traditionnels sud-africains (Contralesa).
"Ce film doit être interdit, ils ne comprennent pas l'importance du rituel", ajoute-t-elle, affirmant avoir été contactée par de nombreux Xhosas indignés par la bande-annonce.
Parmi eux, Kamvalethu Spelman, étudiant de l'université du Witwatersrand à Johannesburg, qui a lancé le mouvement "The Wound must fall" (Il faut faire tomber le film "The Wound").
"Ils assassinent notre culture", affirme le jeune homme de 21 ans. "Même si on est noirs, même si on est pauvres, on a le droit au respect", vitupère-t-il. "Ils nous font passer pour des homophobes pour nous décrédibiliser alors qu'ils veulent juste se faire de l'argent en exploitant notre culture".
"Nous qui avons pris part à ce film, nous avons eu une attitude très protectrice, d'abord de notre culture et ensuite de nos traditions", assure cependant Niza Jay.
"Il y a toujours eu des moments où nous avons dit explicitement ce qui pouvait et ce qui ne pouvait pas être filmé", insiste-t-il.
Le fait que John Trengove, le réalisateur, soit blanc est un motif supplémentaire de crispation, dans un pays toujours miné par les tensions raciales héritées de l'apartheid.
Présenté aux festivals de Sundance (Etats-Unis) et de Berlin, le film a déjà été primé quatorze fois, notamment au London Film Festival et au festival de Carthage (Tunisie).
Il doit sortir officiellement en salle en Afrique du Sud, le 2 février 2018, en dépit des nombreuses tentatives de le faire interdire.
Avec AFP