Coronavirus: finie la prière à la mosquée pour les Dakarois

Les pèlerins entrent dans la Grande Mosquée de Touba le jour du Grand Magal des Mourites, le plus grand pèlerinage annuel au Sénégal, le 28 octobre 2018.

Aller à la mosquée malgré le coronavirus? Au Sénégal, où l'islam est un puissant facteur de cohésion, la question s'est posée pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que le gouverneur de la région de Dakar tranche: les mosquées seront fermées dès vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire.

L'arrêté du gouverneur Al Hassan Sall est tombé jeudi en toute fin de soirée. La situation qui prévaudra vendredi dans les autres régions du pays n'était pas immédiatement connue.

Les mosquées de la capitale sénégalaise (3,5 millions d'habitants) et de ses villes de banlieue comme Pikine et Rufisque seront fermées "jusqu'à nouvel ordre" en raison du "rythme de la propagation de la maladie du coronavirus dans la région de Dakar", selon le texte.

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Jusqu'à cette décision, une grande confusion a régné. Certains chefs religieux avaient déjà décidé d'annuler la prière du vendredi par précaution sanitaire, quand d'autres voulaient la maintenir pour implorer Dieu contre le mal.

Une partie difficilement quantifiable de l'opinion pressait pour la suppression de la grande prière du vendredi et des regroupements qu'elle génère.

Les autorités ont semblé laisser pendant plusieurs jours la responsabilité de cette décision sensible aux groupes religieux, à commencer par les confréries musulmanes qui jouent un rôle social primordial.

- Quel est le contexte sanitaire ? -

L'ancienne colonie française a déclaré 38 cas, un nombre élevé pour l'Afrique subsaharienne, mais aucun décès.

Sans aller jusqu'à imposer le confinement, le gouvernement a pris des mesures fortes: suspension des liaisons aériennes avec une série de pays, interdiction des manifestations publiques, fermeture des écoles...

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Des centres destinés à accueillir un afflux de malades sont en préparation, notamment à Touba (centre), siège de l'influente confrérie des mourides, où une vingtaine de cas de Covid-19 a été recensée.

- Quel est le poids de l'islam ? -

Plus de 90% de la population sénégalaise est musulmane.

A Touba et ailleurs, de grandes manifestations des quatre principales confréries du pays (tidiane, mouride, layène et khadre) drainent des centaines de milliers de fidèles plusieurs fois par an.

Après avoir déjà hésité, les chefs des confréries, les khalifes, ont annulé les événements prévus en mars, s'alignant sur une décision du président Macky Sall d'interdire les rassemblements publics.

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Mais jeudi, plusieurs dizaines de fidèles ont encore prié côte-à-côte aux abords du marché Kermel dans le centre historique de Dakar, a constaté un journaliste de l'AFP.

- Qui appelait à suspendre les prières ? -

L'Association des imams et oulémas du Sénégal a appelé à l'arrêt des prières dans les mosquées, soulignant que "Dieu ne demande à personne de se causer du tort".

Consigne pour le khalife général des tidianes et plusieurs responsables musulmans à travers le pays.

Dans le centre de Dakar, la mosquée El Hadji Malick Sy, qui accueille habituellement le vendredi des centaines de personnes, avait déjà fermé ses portes.

Les fidèles savent que le coronavirus, "c'est la volonté de Dieu, mais cela n'empêche (pas) que les gens se soignent, évitent cette maladie", dit son imam, Makhtar Seck.

- Qui voulait leur maintien ? -

Les responsables de la grande mosquée de Dakar, ont dit jusqu'à jeudi après-midi vouloir maintenir la prière du vendredi, car elle est "recommandée par Dieu" et parce que "l'homme ne peut pas décider de l'enlever". Son imam s'est finalement rétracté dans la soirée.

Mais du côté des confréries, en dehors des tidianes, les mourides ont encore dit jeudi qu'ils maintenaient la prière du vendredi à Dakar. Les autres confréries ne s'étaient pas prononcées.

- Pourquoi ces divergences ? -

"L'islam sénégalais est caractérisé par la multiplicité des voix, avec un foisonnement d'acteurs, avec des légitimités multiples", explique Bakary Samb, du Centre d'études des religions de l'Université de Saint-Louis (nord).

Ce foisonnement est "accentué par l'absence d'une instance unifiée régulatrice", contrairement par exemple au Maroc ou à l'Arabie saoudite, dit-il.

Et l'Etat se montre généralement très prudent, par soucis de se préserver de contestations éventuelles des très influentes confréries.

Devant la mosquée El Hadji Malick Sy fermée, un fidèle, Oumar Diop, signifie combien le sujet est sensible. Les mesures contre le coronavirus impactent durement tout le pays et son commerce, dit-il. "Seul Dieu peut nous aider pour arrêter cette maladie, ça risque de dégénérer partout dans le monde, plus particulièrement en Afrique". Pour le moment, il prie chez lui, mais "n'aimerait pas que ça ferme pour trois semaines, quatre semaines".