Les yeux rivés sur un prompteur, la présentatrice Lee So-jeong répète une nouvelle fois son texte à quelques minutes du journal télévisé le plus regardé de Corée du Sud.
Depuis novembre, elle est la première femme à occuper une telle fonction dans un pays où, pendant des décennies, ce rôle prestigieux était réservé aux hommes.
Cinq fois par semaine, cette quadragénaire s'invite dans les foyers avec "News 9", le journal télévisé de la chaîne publique KBS.
Bien qu'économiquement et technologiquement très avancée, la Corée du Sud demeure culturellement dominée par les hommes.
Jusqu'à l'arrivée de Mme Lee, les journaux télévisés ne faisaient pas exception à cette règle: un homme d'âge mûr relatait avec sérieux les principales nouvelles de la journée et une femme beaucoup plus jeune lui succédait pour les informations plus légères.
Certaines de ces jeunes présentatrices ont disparu des écrans après avoir abandonné leur carrière pour épouser un membre d'une des familles "chaebol", nom donné aux conglomérats sud-coréens.
L'arrivée de Mme Lee est donc venue bousculer les traditions. A 43 ans, elle officie au côté d'un homme plus jeune qu'elle et nourrit de grandes ambitions.
Lire aussi : En Corée du Sud, la vérité peut être un crimeLa journaliste a expliqué à l'AFP vouloir bousculer le côté traditionnel de KBS, afin notamment de capter le jeune public rebuté par des émissions qui ont tendance à "donner des leçons aux téléspectateurs".
Depuis son arrivée en novembre à la tête du journal, la part d'audience de son programme est passée de 9,6 à 11%.
Mais elle a bien conscience qu'elle n'a aucun droit à l'erreur.
- Forte pression -
"Si j'échoue, cela pourrait déshonorer l'ensemble des femmes journalistes", affirme-elle, soucieuse de "bien faire" afin d'offrir à ses confrères féminines "plus d'opportunités".
Elle avoue même que cette pression est plus forte que celle ressentie lors de la présentation en direct des informations.
En Corée du Sud, douzième économique mondiale, les valeurs sociales traditionnelles perdurent.
L'écart de rémunération entre les hommes et les femmes est le plus élevé des pays développés.
En moyenne, les femmes ne gagnent que 66% du salaire des hommes et les mères qui travaillent se doivent d'être tout aussi irréprochables en matière d'éducation des enfants que dans leur milieu professionnel.
Beaucoup peinent à mener de front vie professionnelle et vie familiale et se retrouvent contraintes de renoncer à leur carrière.
Cette pression sociale a conduit de nombreuses sud-coréennes à renoncer à la maternité.
Le taux de fertilité est tombé à 0,98 en 2018, bien en deçà des 2,1 nécessaires pour permettre le renouvellement de la population
Mme Lee, mère d'un garçon de 6 ans, a également été confrontée à cette question.
"J'ai vu beaucoup de femmes journalistes expérimentées dont les carrières ont été interrompues", raconte-t-elle.
- "Un signe encourageant" -
Ce type de difficultés est au coeur du récent film à succès "Kim Ji-young, Born 1982". Basé sur un roman féministe, il raconte l'histoire d'une femme ordinaire, la trentaine, qui jongle entre travail et famille.
La journaliste, qui a débuté à la télévision en 2003, avoue rencontré de telles difficultés à son retour de congé maternité.
"J'avais l'impression de n'être ni une bonne maman ni une bonne journaliste", se souvient Mme Lee, qui appelle "les jeunes femmes à faire de leur mieux au travail sans pour autant s'en vouloir pour les choses qu'elles ne peuvent pas contrôler".
Les choses commencent doucement à changer dans le pays qui a également connu en 2018 un mouvement #MeToo.
Pour le directeur général de l'information à KBS, le moment était donc venu de nommer une femme à la présentation du journal télévisé pour répondre "aux exigences de l'époque".
Lire aussi : L'ex-présidente sud-coréenne condamnée à 24 ans de prison pour corruptionUne telle nomination était "impensable" dans les années 80, reconnaît-il.
Pour la militante des droits de la femme Bae Bok-ju, l'arrivée de Mme Lee "bouleverse" les rôles généralement dévolus aux hommes et aux femmes dans la société sud-coréenne et c'est "un signe encourageant" pour le pays.
"Annoncer les principales informations politiques et sociales a longtemps été considéré comme une tache dévolue aux hommes et les femmes étaient sur la touche", explique-t-elle.
"Le fait qu'une femme présente désormais le journal principal est le signe que la Corée du Sud est à la croisée des chemins pour enfin mettre fin aux stéréotypes liés au genre".