Brouteurs.com, les arnaques en série en Côte d'Ivoire

Un cybercafé de Lagos, Nigeria.

"On a tous en tête des histoires de brouteurs", les célèbres arnaqueurs ivoiriens sur internet, assure le réalisateur Alain Guikou, qui en a fait une série à succès diffusée à la télévision ivoirienne et sur TV5 Monde.

La troisième saison de "Brouteurs.com" arrivera en novembre.

Le destin du réalisateur est lié à celui des brouteurs. En 1998, alors qu'internet en était encore à ses balbutiements en Afrique, Alain Guikou, qui n'imaginait pas alors faire du cinéma, tenait un des premiers cybercafés d'Abidjan, à Yopougon, un des deux grands quartiers populaires de la capitale économique ivoirienne.

"J'avais un client particulier qui passait sa journée à envoyer des mails, à passer des coups de téléphone. Il me faisait la recette quotidienne", raconte-t-il. L'homme était en réalité un brouteur, un cyber-escroc à la sauce ivoirienne.

"Il voulait absolument pouvoir venir 24/24h, 7/7j. Il m'a même offert 500.000 F CFA par mois (760 euros)", une somme importante pour le pays.

Selon Alain Guikou, ce "client" coule désormais des jours heureux en Europe, où il a disparu après avoir fait fortune en délestant des "pigeons" de leur argent...

Le phénomène s'est amplifié dans les années 2000 pour devenir une sorte de spécialité ivoirienne, même si le Nigeria et le Cameroun ont aussi leurs cyber-aigrefins.

Propositions de mariages, d'investissements, usurpations d'identité, fraudes à la carte bancaire, fausses factures, affaires louches... Les arnaqueurs, souvent qualifiés d'arnacoeurs, rivalisent d'imagination pour leurs escroqueries. Des scénarios qui constituent autant d'épisodes de Brouteurs.com.

"C'est un peu comme quand Al Pacino rencontrait les mafieux de New-York pour s'en inspirer. Les mecs étaient fiers de lui raconter leurs histoires. Ici aussi, ils sont fiers de me raconter ce qu'ils font", assure ce fan des films de mafia, qui raconte qu'aujourd'hui certains "sont prêts à (le) payer pour apparaître" dans la série.

Le parc Banco vendu à prix d'or

Après le succès d'une première série policière (Signature, 2007), l'autodidacte Alain Guikou débute en 2010 le tournage des 26 premiers épisodes de "Brouteurs.com" avec des budgets maigrelets, qui s'étoffent avec le succès.

"On m'a même raconté qu'au Canada, la diaspora africaine se rassemble pour regarder la série", assure l'un des acteurs de la série, Franck Vléhi.

Avant d'incarner Géraud, l'escroc en chef, Franck Vléhi a rencontré un des brouteurs mythiques du pays dont la légende veut qu'il ait vendu le Banco, le parc national protégé situé dans Abidjan, à un Qatari pour "8 milliards de F CFA" (12,2 millions d'euros)!"

"Je voulais comprendre leur psychologie", affirme l'acteur. "Il m'a dit : +quand tu pars à la pêche et que tu veux pêcher un tilapia, un ver de terre suffit. Mais quand tu veux pêcher un requin, il faut carrément le capitaine (gros poisson des eaux africaines)!+"

"Arrivée en jet privé au Qatar, vêtu de blanc! Suite dans un hôtel de luxe... Il (le brouteur) s'est fait passer pour un riche héritier ivoirien" faisant du business.

Dans la série, Géraud escroque dès la saison 1 un riche Saoudien de 400 millions de F CFA (610 00 euros).

Honte, ruine, suicide

L'actrice Aurélie Eliam, qui tient le rôle du lieutenant de police Cynthia, a elle-même eu à souffrir des brouteurs.

En 2008, des arnaqueurs se sont servis d'anciennes photos d'elle posant comme mannequin pour "appâter" des amoureux argentés.

"Un monsieur a failli porter plainte contre moi auprès d'Interpol... Je me suis aperçue qu'on parlait de moi sur un forum: +Aurélie Eliam, actrice et arnaqueuse+ On disait que j'avais volé plusieurs milliers d'euros", explique-t-elle.

On voit souvent les arnaques comme "une histoire marrante", souligne Alain Guikou qui rappelle toutefois les conséquences tragiques pour les victimes, de la honte à la ruine et même parfois au suicide.

"Un jour, je me suis retrouvé au maquis (restaurant populaire) avec un brouteur qui s'esclaffait à propos d'un pigeon qu'il avait au téléphone: +Ecoute ça, le Mugu (victime) est en train de pleurer!", raconte le réalisateur.

En braquant les projecteurs sur ces arnaques, la série a eu un effet collatéral: certains brouteurs craignent désormais de se faire démasquer.

"Quand j'étais en vacances à Washington DC", raconte ainsi Franck Vléhi, "un mec" l'ayant reconnu lui a glissé à l'oreille: "+Maintenant arrêtez de dévoiler nos plans! ça nous tue et ça tue notre business!+"

Avec AFP