L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a plaidé non coupable jeudi 28 janvier à l'ouverture de son procès devant la Cour pénale internationale, cinq ans après des violences postélectorales qui ont déchiré une Côte d'Ivoire toujours en quête de "vérité".
Laurent Gbagbo est le premier ex-chef d'Etat poursuivi par la CPI. Son procès est un vrai test pour la Cour, entrée en fonction en 2003.
Lui et son co-accusé Charles Blé Goudé, 44 ans, ancien chef de milice, sont poursuivis pour leur rôle dans la crise née du refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, à l'issue de l'élection présidentielle de fin 2010.
Les violences avaient fait plus de 3 000 morts en cinq mois, transformant en champ de bataille certaines zones du premier producteur mondial de cacao, moteur économique de l'Afrique de l'Ouest.
"Je plaide non coupable", a déclaré Laurent Gbagbo, 70 ans, après lecture des charges par un représentant du greffe : meurtres, viols, actes inhumains et persécutions. Charles Blé Goudé l'a imité quelques instants plus tard.
Laurent Gbagbo, portant un costume bleu foncé, était apparu souriant et détendu à l'ouverture de l'audience, vers 9 h 35 (8 h 35 GMT).
L'accusation devrait avoir la parole la majorité de la journée de jeudi. Suivront dans l'après-midi les représentants des 726 victimes admises aux procédures, puis, vraisemblablement vendredi, la défense.
"Libérez Gbagbo"
Quelques centaines de partisans de l'ex-président avaient fait le déplacement et chantaient jeudi matin leur soutien devant la bâtiment de la CPI, arborant des écharpes, chapeaux et autres apparats aux couleurs de la Côte d'Ivoire : vert, blanc et orange.
"Libérez Gbagbo !", "Procès de la honte !", "Gbagbo président !" scandaient-ils au rythme de tambours, se réchauffant dans la fraîcheur matinale néerlandaise.
L'ex-président ivoirien est accusé d'avoir fomenté une campagne de violences pour tenter, en vain, de conserver le pouvoir. Charles Blé Goudé aurait, lui, été à la tête d'hommes ayant tué et violé des centaines de personnes dans le but de maintenir l'ex-chef de l'Etat au pouvoir.
Mais pour le camp Gbagbo, ce dernier est un chantre du multipartisme et la France, ancienne puissance coloniale, est derrière le "complot" qui a entraîné la chute de ce farouche nationaliste.
Reporté à plusieurs reprises, ce procès est attendu autant par le camp Ouattara que par celui de Gbagbo, d'autant qu'il repose la question cruciale des rapports entre justice et réconciliation.
En Côte d'Ivoire, dans les bastions des deux accusés, des écrans géants ont été installés pour que la population puisse suivre les procédures.
Devant la CPI, les partisans de Laurent Gbagbo ont leur idée de la vérité. "Notre rêve de voir notre président retrouver sa liberté commence aujourd'hui", affirme à l'AFP Marius Boué, qui a fait le déplacement depuis le nord de la France.
Le juge président Cuno Tarfusser a de son côté mis en garde contre toute "instrumentalisation politique" du procès, qui porte sur un conflit qui divise encore la Côte d'Ivoire.
"Ce n'est pas un procès contre la Côte d'Ivoire ou contre le peuple ivoirien, mais contre deux personnes physiques", a-t-il dit, affirmant que la Cour travaillera en toute "impartialité".
"Justice des vainqueurs"
Cette "vérité" tant attendue par les Ivoiriens, accusation et défense ont promis mercredi de la faire "éclater".
L'avocat de Laurent Gbagbo, Emmanuel Altit, avait par exemple assuré que son client voulait "que toute la vérité soit dite, pour que les Ivoiriens puissent se ré-approprier leur propre histoire".
Laurent Gbagbo, dont la santé est "fragile", selon ses avocats, avait été livré à la CPI en 2011. Charles Blé Goudé avait, lui, été transféré à La Haye en 2014.
L'accusation assure disposer de 138 témoins, qui ne seront pas tous appelés en audience. Elle compte présenter plus de 5 300 éléments de preuve dans un procès qui devrait durer entre trois et quatre ans.
Simone Gbagbo, épouse de Laurent, a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d'Ivoire pour son rôle dans la crise, en compagnie de 78 autres personnes.
Aucun membre du camp Ouattara n'a encore été inquiété par la CPI, ce qui lui vaut parfois d'être taxée de "justice des vainqueurs", mais le bureau du procureur a promis d'intensifier son travail d'enquête, alors que les avocats d'un millier de victimes présumées s'inquiètent de "l'impunité" dont jouissent les partisans de l'actuel président ivoirien.
"Village après village, dans l'ouest lointain, des membres des forces républicaines loyales à Ouattara ont tué des civils de groupes ethniques associées à Gbagbo", dénonce l'ONG Human Rights Watch dans un communiqué.
Avec AFP