Le dialogue piétine au Nicaragua

Le cardinal Leopoldo Brenes s'entretient avec des journalistes à la fin du troisième jour du dialogue national à Managua, au Nicaragua, le 21 mai 2018.

Le représentant des Evêques au Nicaragua se rend mardi au Vatican pour rendre compte au pape de la crise dans ce pays où le dialogue entre gouvernement et opposition sur d'éventuelles élections générales anticipées semble piétiner et où les violences ont fait plus de 210 morts en deux mois.

Le cardinal Leopoldo Brenes, archevêque de Managua et président de la Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), doit évoquer avec le pape François "la situation douloureuse dans laquelle se trouvent actuellement les Nicaraguayens", a indiqué la conférence épiscopale.

L'alliance de l'opposition nicaraguayenne a accusé le gouvernement de Daniel Ortega, lundi, de ne pas faire preuve d'"ouverture ou de volonté politique", notamment au sujet de la proposition visant à faire avancer les élections de 2021 à mars 2019, a déclaré lors d'une conférence de presse Daisy George, de l'Alliance civique pour la Justice et la Démocratie, une coalition de groupes d'opposition de la société civile.

Selon elle, les représentants du gouvernement ont souhaité plutôt évoquer "des questions de sécurité et des barrages routiers".

"Le gouvernement continue d'esquiver la question" des élections anticipées, a déclaré Carlos Tünnermann, un universitaire de l'Alliance civique.

Dans le pays, les assauts violents des forces de l'ordre, aidées de groupes paramilitaires, se poursuivaient lundi dans de nombreuses villes.

Des fusillades et des incendies étaient signalés dans les départements de Leon et de Matagalpa (nord), où des hommes armés démontaient avec des pelleteuses les barricades érigées par les habitants. Ces derniers ont fait état de blessés mais aucun bilan officiel n'a été communiqué.

Ortega muet

"Il y a de très fortes détonations. Vraiment, c'est une erreur, la répression ne sert à rien, nous lançons un appel aux autorités pour qu'elles freinent ça. Nous ne voulons pas qu'il y ait plus de morts", a déclaré par téléphone, depuis Leon, le curé Victor Morales.

"Nous, les évêques du Nicaragua, attendons que le président (Daniel) Ortega nous communique de manière officielle et formelle son acceptation de la proposition que nous lui avons faite (...), fondée sur le ressenti de la majorité des Nicaraguayens, pour des élections anticipées", a lancé sur Twitter l'évêque auxiliaire de Managua, Silvio Baez.

La proposition a été transmise par l'Eglise le 7 juin mais Daniel Ortega, un ex-guérillero de 72 ans qui en est à son troisième mandat consécutif depuis 2007, après avoir déjà gouverné de 1979 à 1990, a demandé un temps de réflexion. Depuis il reste muet sur le sujet.

Cette réunion survient alors que le pays a connu un regain de violences ce week-end, faisant 14 morts à Managua et dans d'autres villes du pays, selon le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh).

"Ces groupes qui s'habillent en civil et sèment la terreur doivent faire l'objet d'une enquête, d'un procès et doivent être retirés immédiatement" des rues, a plaidé lundi Alvaro Leiva, secrétaire de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'homme (ANPDH).

La vague de contestation, la plus violente dans le pays depuis des décennies, a été déclenchée le 18 avril par une réforme de la sécurité sociale.

Malgré l'abandon rapide de cette réforme, la colère populaire, accentuée par la répression policière, n'est pas retombée et cible Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo, vice-présidente, accusés de confisquer le pouvoir et de brider les libertés.

Une situation critique

Ils "doivent partir car le peuple ne veut plus d'eux", a déclaré à l'AFP un étudiant de 25 ans, le visage camouflé par un foulard, sur une barricade montée devant l'UNAN.

La pression internationale n'a cessé de croître contre le chef de l'Etat et mardi, une mission du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme se rendra dans le pays.

Vendredi, son gouvernement avait été pointé du doigt par la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qui a présenté un rapport sévère lors d'une session extraordinaire du Conseil permanent de l'Organisation des Etats américains (OEA) à Washington.

Elle y a dénoncé "l'action répressive de l'Etat", responsable selon elle de 212 morts, plus de 1.300 blessés et plus de 500 arrestations.

"La situation est assez critique et il est nécessaire que toute la communauté internationale prête attention à ce qui se passe au Nicaragua", a déclaré à l'AFP Paulo Abrao, secrétaire exécutif de la CIDH.

Lors de cette session, une dizaine de gouvernements, dont ceux des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, ont exigé que "cesse la répression".

Mais le dialogue au Nicaragua reste compliqué: il a déjà été suspendu trois fois, la dernière il y a une semaine car l'exécutif n'avait pas invité, comme il s'y était engagé, des organismes internationaux à venir vérifier la situation des droits de l'homme. Il a depuis obtempéré.

Dimanche, des experts de la CIDH sont ainsi arrivés à Managua, mais le gouvernement rejette toujours les accusations de recours excessif à la force et de violation des droits de l'homme.

Avec AFP