“J'étais allongé dehors un jour, nous étions nombreux et il y avait aussi des femmes dans la maison. Puis, nous avons vu arriver deux gros véhicules. [Les militaires] nous ont d'abord arrêtés avec quelques autres avant de tirer en l'air et de nous frapper. Ils nous ont attachés, ont versé de l'eau sur nous et nous ont battus. Ils nous ont laissé au soleil jusqu'à 13h ou 14h”, raconte Boubacar Koueta, peul.
Après des attaques de groupes armés contre des cibles militaires près de la frontière avec le Burkina Faso, le gouvernement ivoirien a déployé un grand nombre de soldats dans le nord au cours des deux dernières années.
Dans la ville de Kong, non loin d'une localité où de nombreuses attaques ont eu lieu, la VOA s'est entretenue avec plusieurs hommes peuls qui déclarent avoir été arrêtés par les forces gouvernementales ivoiriennes récemment arrivées dans la région.
Ils disent qu'eux-mêmes et leurs proches ont été battus par des soldats et détenus de onze jours à deux mois, sans inculpation, simplement en raison de leur appartenance ethnique.
Dans quasiment tout le Sahel, il existe une idée fausse selon laquelle les Peuls sont à l'origine des attaques liées à l'État islamique et à Al-Qaida, deux nébuleuses qui font rage au Burkina Faso et au Mali voisins.
Selon un notable de la région, les choses n'étaient pas toujours ainsi: en fait, la communauté entretenait autrefois de bonnes relations avec les forces de sécurité. Mais tout a changé avec l'arrivée de nouveaux soldats il y a deux ans.
“Avant l'arrivée des nouveaux militaires, tout allait bien. Nous n'avons eu aucun problème avec les autorités et les forces de sécurité. Mais, depuis leur arrivée, les Peuls sont souvent arrêtés et qualifiés de terroristes”, soutient Amadou Sidibé, leader de la communauté peule.
Des responsables de Human Rights Watch indiquent que la persécution des Peuls au Burkina Faso et au Mali est un catalyseur majeur du recrutement par des groupes terroristes, qui exploitent le ressentiment de certains envers l'État.
"Fracture sociale"
Selon des analystes, les tensions de longue date entre les agriculteurs et les communautés d'éleveurs comme les Peuls sont également instrumentalisées par les groupes jihadistes pour attiser les conflits.
“Au-delà de la rhétorique religieuse, ils exploitent les fractures sociales et ethniques. En effet, il y a une fracture entre les communautés peules et les autres communautés de cette région”, souligne Lassina Diara, analyste à l'Institut de Tombouctou.
Un agriculteur, près de la ville de Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, qui a demandé que son nom ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité, a soutenu à la VOA qu'il était irrité d'avoir à ériger des clôtures, car les éleveurs laissent les animaux paitre dans les champs.
“C'est l'agriculteur qui doit à tout prix protéger sa plantation. Je pense que les bergers ne font absolument rien parce que le berger veut juste voir son bétail bien nourri”, explique-t-il.
Lassina Sele dirige une ONG qui vise à réduire les tensions entre agriculteurs et éleveurs. Selon lui, les miliciens locaux appelés dozos exacerbent les tensions.
“Quand les dozos arrêtent un voleur et qu'il est Peul, il est moins bien traité que s'il est d'une autre ethnie. J'ai beaucoup vu cela et je le dis haut et fort car je suis ici depuis longtemps et j'en ai été témoin”, assure-t-il.
Pour Lassina Diara, les autorités ne font pas assez pour soulager les tensions entre les communautés d'éleveurs et d'agriculteurs.
Les ministres ivoiriens en charge de la Sécurité et de la Cohésion sociale n'ont pas répondu aux multiples sollicitations de la VOA pour un entretien.
Your browser doesn’t support HTML5