Dans le Zimbabwe en crise, des prisons aux airs de mouroirs

Un détenu nettoie ses ustensiles lors d'une visite à la prison de Chikurubi Maximum par un parlementaire de la santé qui souhaitait avoir une idée des problèmes de santé et du VIH auxquels sont confrontés les détenus, le 13 juin 2019.

En banlieue de la capitale zimbabwéenne Harare, la prison de Chikurubi traîne une terrible réputation de cul-de-basse-fosse depuis des années. Ses cellules décrépies sont surpeuplées, l'eau potable est rationnée, les détenus y ont régulièrement faim.

Des députés ont pu constater la semaine dernière lors d'une inspection ouverte à la presse que l'établissement n'échappait pas non plus à la crise économique qui ruine le pays. Faute de médicaments, l'hôpital y a pris des airs de mouroir.

Bonnet rouge enfoncé jusqu'aux oreilles, Chiedza Chiwashira, 18 ans, a planté sans détour le décor pour les visiteurs.

"Je suis séropositive", a confié la jeune prisonnière. "On a accès aux médicaments contre le sida. Mais tous les autres, que ce soient des antibiotiques courants ou même un antidouleur comme le paracétamol, il n'y en a pas".

Un détenu de la section psychiatrique écoute les interactions entre des députés et des prisonniers lors d'une visite de la prison maximale de Chikurubi par une commission parlementaire de la santé, le 13 juin 2019.

Les antirétroviraux sont fournis par l'aide internationale, le reste est du ressort d'un Etat étranglé financièrement, donc incapable d'en importer pour ses hôpitaux ou ses prisons.

A Chikurubi, la progression du virus VIH est donc contenue mais les maladies qui l'accompagnent font des ravages.

"Nous n'avons pas de traitement contre la pneumonie ou la méningite", regrette un des médecins de l'hôpital pénitentiaire, Blessing Dhoropa. "On aurait aussi besoin d'une radio qui fonctionne", ajoute-t-il, "pour l'instant elle est en panne, alors qu'elle serait vitale pour établir des diagnostics".

Déjà incertain faute d'armes et de munitions, le combat des médecins pour la santé des détenus vire à la mission impossible pour cause de surpopulation.

Conditions déplorables

Patron de l'administration pénitentiaire pour la province de la capitale Harare, Alvord Gapare confirme qu'elle est galopante. Quelque 20.000 détenus pour les 14.000 places offertes dans les 46 prisons du pays.

Prévus pour 1.360 détenus, les quartiers masculins de Chikurubi en accueillaient la semaine dernière 2.508.

"C'est beaucoup trop", lâche le haut-fonctionnaire, qui continue l'interminable inventaire à la Prévert des carences de l'institution.

"Nous subissons des pénuries de médicaments, notre seule ambulance est en panne, nous manquons de vêtements, de draps et nous avons du mal à préparer des repas adaptés diététiquement aux détenus", énumère-t-il.

Une détenue inspecte ses pots alors qu'elle prépare un après-midi pour ses compagnons lors d'une visite guidée de la prison de Chikurubi par des membres d'un comité parlementaire de la santé, le 13 juin 2019.

"Le régime ne convient pas à ceux qui souffrent de diabète ou d'hypertension", confirme une détenue.

Il n'est même pas suffisant pour ceux qui sont en bonne santé. Il se limite le plus souvent, ont confié les détenus, une bouillie de maïs en guise de petit-déjeuner et une autre enrichie de quelques légumes à midi et le soir.

En 2013, plus de 100 détenus sont morts dans le pays de maladies liées à la mal ou à la sous-nutrition, révèlent les chiffres les plus récents diffusés par l'Association zimbabwéenne des avocats pour les droits humains (ZLHR).

Quant aux conditions générales d'hygiène de l'établissement, elle sont, selon la même ZLHR, "déplorables".

Les tenues imposées aux prisonniers sont rapiécées et sales, les murs de leurs cellules suintent et beaucoup confessent que leurs paillasses sont infestées de poux et de vermine.

'Violations massives'

Pour les 20.000 pensionnaires des 46 prisons du Zimbabwe, les "violations des droits humains (y) sont massives", a résumé l'an dernier le Forum des ONG pour les droits humains.

Peut-être plus que le reste, c'est la situation des patients de l'unité psychiatrique, elle aussi surchargée, de la prison de Chikurubi qui a choqué les parlementaires.

"Comme vous le voyez, notre principal problème est la surpopulation", a constaté un des responsables des services de santé du pays, le psychiatre Patrick Mhaka. "La plupart des patients ne devraient pas être là. Certains finissent ici pour avoir volé une simple miche de pain".

"Ce n'est vraiment pas un endroit idéal pour la prise en charge des personnes qui souffrent de troubles mentaux", insiste le Dr. Mhaka. "Par manque de transport, ils restent ici des mois après leur décharge, et ils retombent malades".

Des tissus pendent pour sécher dans une cellule de prison lors d'une visite de la prison maximale de Chikurubi par un comité parlementaire de la santé qui souhaitait avoir une idée des principaux problèmes de santé et de VIH, le 13 juin 2019.

Secoués par leur visite, les élus ont promis aux détenus et à leurs gardiens de prendre leurs problèmes à bras le corps.

"Nous implorons le gouvernement (...) de fournir des médicaments aux détenus qui souffrent", a lancé le sénateur d'opposition Morgan Femai. "Il faut faire quelque chose contre la surpopulation pour éviter la propagation des infections".

Dans un pays déserté par les dollars des investisseurs étrangers, frappé par une l'inflation galopante (75%) et les pénuries en tous genres, pas sûr que son appel puisse être entendu.

Pour réduire la surpopulation carcérale, les autorités n'ont jusque-là eu recours qu'à une seule arme: l'amnistie. Lors de la dernière en mars 2018, le président Emmerson Mnangagwa avait ordonné la libération de 3.000 détenus...