Le 26 juillet 2022 à Yaoundé, les présidents Emmanuel Macron et Paul Biya avaient souhaité que des historiens se penchent sur ce pan sanglant, mais presque totalement ignoré des manuels scolaires et du grand public, de l'histoire de France et du Cameroun, de 1945 à 1971.
Lire aussi : Les migrations, résultat des "pillages" de l'Afrique, accuse le président centrafricainLes chefs d'Etat s'étaient engagés à déclassifier des archives demeurés secrètes et avaient lancé, en mars 2023, la commission franco-camerounaise "Histoire et mémoires sur le rôle et l'engagement de la France au Cameroun dans la répression contre les mouvements indépendantistes et d'opposition entre 1945 et 1971".
Son volet Recherche, composé de 15 historiens, est présidé par la Française Karine Ramondy. De passage à Yaoundé, elle évoque l'avancée de leurs travaux dans un entretien avec l'AFP. Le chanteur et musicien camerounais Blick Bassy préside, lui, un volet artistique et patrimonial.
Dizaines de milliers de morts ?
Durant cette période – avant et après l’indépendance du Cameroun en 1960 donc –, des historiens et associations des deux pays assurent que "plusieurs dizaines de milliers de Camerounais" ont été tués dans une véritable "guerre", menée d'abord par l'armée française puis conjointement avec les troupes du premier président de la République du Cameroun, Ahmadou Ahidjo.
"En ce qui concerne les archives déclassifiées, nous avons commencé un certain nombre de partages des archives sous dérogation en France", assure Karine Ramondy, ajoutant: "Comme le président (Macron) s’y était engagé, les chercheurs camerounais bénéficient des conditions d’accès à des archives classifiées".
Le rapport du volet Recherche doit être rendu en décembre 2024. C'est sur la base de ses travaux que Paris et Yaoundé pourront, selon les termes de M. Macron en juillet 2022, "établir factuellement" des "responsabilités" sur un "sujet refoulé" en France comme au Cameroun. Le président français avait promis qu'il en tirerait une "reconnaissance" de ce qui s'est passé et non une "repentance".
"Nous avons déjà beaucoup travaillé, de part et d’autre, ensemble. Nous avons déjà téléversé sur une plateforme sécurisée de nombreuses archives numérisées auxquelles nous avons accédé. Elles sont françaises et viennent aussi du Cameroun", énumère Mme Ramondy.
Durant leur séjour à Yaoundé, son équipe épluche des tonnes d'archives stockées à la bibliothèque de la faculté de lettres de l'Université de Yaoundé I, haut lieu de la formation des historiens camerounais. Trois chercheurs, deux Camerounais et un Français, scrutent les étagères en bois de deux mètres de haut sur lesquelles sont soigneusement empilés d'innombrables mémoires et thèses de dizaines d'années de recherche.
Réparations ?
Les ouvrages sélectionnés sont ensuite numérisés. Des techniques inédites dans ce modeste centre de documentation où la majorité des étudiants et chercheurs recopient manuellement ce qui les intéresse sur des carnets de note.
Le ministre camerounais des Arts et de la Culture s’était "engagé à nous donner l’accès aux Archives nationales", explique Karine Ramondy. "C'est un peu compliqué parce que, depuis quelque temps, il y a un déménagement et un récolement de ces archives en cours. Nous avons bon espoir que les choses puissent se débloquer rapidement", poursuit l'historienne.
Interrogée sur une éventuelle reconnaissance par la France de ses responsabilités dans des crimes de guerre, ainsi que des réparations, elle répond que le travail de la commission se borne à établir et documenter des faits. "Nous avons vocation à faire un rapport historique, scientifique (...), c'est la mission de cette commission de donner aux présidents une somme historique sérieuse, fondée sur un bon nombre d’archives, afin de déterminer quel type de reconnaissance, quels gestes la France et le Cameroun souhaiteraient", explique-t-elle.
"Vous pouvez compter sur l'équipe pour faire un rapport le plus équilibré, le plus sérieux possible", promet Karine Ramondy.