Les seins sont mutilés mais le sexe intact. Pas de sang sur la scène de crime, le corps a été déplacé: le crime est maquillé, en déduit Elmarie Myburgh, seule profileuse dans un des pays les plus violents au monde, l'Afrique du Sud.
Dans le bureau qu'elle occupe depuis près de 25 ans, au quartier général de la police à Pretoria, elle a accumulé de la paperasse. Derrière elle, les "dockets", dossiers dans lesquels s'assemblent les pièces du puzzle de chaque crime: interrogatoires, expertises médicales et balistiques, relevés sanguins...
Soixante-dix affaires de meurtres et 90 viols en série au compteur: cette femme calme et souriante a dressé le profil de chacun de ces criminels. Elle a observé le nombre de coups, la violence exprimée lors du passage à l'acte, évalué la proximité de l'auteur des faits avec la victime et tenté de comprendre le crime pour traquer son auteur.
Elle est la seule à faire ce travail en Afrique du Sud, épaulée par trois capitaines qu'elle forme pour la relève. Ce pays, qui enregistre un meurtre toutes les 25 minutes et 115 plaintes pour viols par jour, pourrait compter des dizaines de criminologues, psychologues du crime et spécialistes des crimes en série.
Mais la police sud-africaine, qui traîne la sulfureuse réputation d'être corrompue et inefficace, souffre aussi de coupes budgétaires qui ont dépeuplé ses rangs.
"Courant d'air"
Elmarie Myburgh était déjà là lorsque l'unité d'enquête psychologique a été créée après la fin du régime d'apartheid en 1994. A l'époque, le FBI américain excellait déjà dans le profilage des criminels. "Aujourd'hui, on les égale", estime-t-elle.
Sa première scène de crime, elle s'en souvient parfaitement. "Un meurtre, ici à Pretoria. L'homme était allongé sur le dos. La tête écrasée sous une énorme pierre".
A 27 ans, elle avait déjà scruté bon nombre de photos de crimes. "Mais c'est une autre histoire quand tu es sur place. Le sang, l'odeur", décrit-elle.
Peu de temps après, elle est appelée sur un autre meurtre. Une femme, plusieurs coups de couteau, dans sa maison. "On était assis dans le salon, on interrogeait le mari. Un courant d'air a fait claquer une porte. J'ai sursauté", avoue-t-elle.
Ces deux affaires n'ont jamais été résolues. Manque de preuves. Pour elle, la frustration fait partie du métier. Surtout dans un système surchargé qui tout entier déraille: "Il y a tellement d'affaires", dit Elmarie Myburgh. "On a plus de meurtres à Pretoria le samedi qu'en Norvège ou en Suède en un an", ironise-t-elle.
Alors il faut parfois attendre des mois, voire des années, pour recevoir les résultats d'un test ADN ou d'une analyse de téléphone.
"Fiction"
Les chiffres ne sont pas bons: moins de deux meurtres sur dix sont élucidés, selon les statistiques. Pour la spécialiste, la criminalité record, en hausse depuis au moins dix ans, s'explique aussi comme ça: "Les gens pensent qu'ils peuvent s'en tirer".
Le lieutenant-colonel Myburgh ne fume pas, a un penchant pour le bon vin. Cette femme de 50 ans au regard clair, coiffure soignée et ongles faits, carbure au café quand il y a du boulot. Pour se délasser, elle regarde parfois un épisode des "Experts". "Pas réaliste", observe-t-elle. Finalement, les acteurs l'agacent.
L'auteur sud-africain de polars à succès, Deon Meyer, lui envoie ses manuscrits pour relecture. Elle règle de petits détails. "Il se débrouille bien, il ferait un bon enquêteur", rit-elle.
"Elle comprend à la fois ce qu'un enquêteur a dans le ventre et ce qu'il y a dans l'esprit d'un criminel. Mais ce qui la rend si exceptionnelle, c'est qu'elle lit aussi des romans policiers", a publiquement dit d'elle l'écrivain.
Elle est régulièrement citée dans les journaux pour ses interventions au tribunal. Car une part non négligeable du métier est de présenter, au cours du procès, le profil criminel de ceux qui sont "des dangers pour la société".
Dans un peu plus de neuf ans, la profileuse pourra prendre sa retraite: "Je devrais pouvoir tenir jusque-là", dit-elle sereinement.