Ntsiki Biyela a accédé à la célébrité en 2004 en devenant la première vigneronne noire d'Afrique du Sud. Dix ans après la chute du régime raciste de l'apartheid, son entrée fracassante dans un secteur jusque-là exclusivement reservé aux Blancs avait été érigée en symbole de la nouvelle Afrique du Sud "arc-en-ciel" rêvée par Nelson Mandela.
La patronne d'Alsina Wines n'a aujourd'hui rien perdu de l'enthousiasme de ses débuts. Mais elle concède que se faire une place dans l'industrie vinicole de son pays, qui compte parmi les 10 principaux producteurs de la planète, n'a pas été "des plus facile".
"Outre son aspect financier, c'est un domaine qui exige beaucoup d'engagement, qu'il s'agisse de traiter avec les producteurs, les acheteurs ou les consommateurs", explique Ntsiki Biyela, 39 ans.
"Pour réussir, il faut bien comprendre toute la chaîne".
Créée il y a trois ans à peine, sa cave sise à Stellenbosch (sud-ouest) près du Cap, la capitale sud-africaine du vin, vend des bouteilles de sauvignon blanc, cabernet sauvignon et chardonnay. Pour l'instant, sa production est entièrement vendue à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, en Allemagne, au Ghana et à Taïwan.
Perfectionniste, Ntsiki Biyela a tenu à maîtriser l'ensemble de la chaîne de fabrication. "Je produis mon vin moi-même et contrôle le processus du début à la fin", s'enorgueillit-elle.
'Le vin m'a choisie'
Elle s'est lancée dans la production après des études d'oenologie à l'université de Stellenbosch et a fait ses gammes dans l'un des nombreux domaines vinicoles de la ville. Sa toute première cuvée lui a valu les honneurs du prix de la Femme vigneronne de l'année en 2009.
Alsina, sa maison lancée en 2014 et baptisée en hommage à sa grand-mère, a débuté avec une production confidentielle de 2.400 bouteilles l'an. Elle a franchi le cap des 12.000 bouteilles en 2017 et espère s'approcher des 18.000 dès 2018.
Rien ne prédestinait Ntsiki Biyela au monde du vin. Elevée à l'autre bout du pays dans un village du KwaZulu-Natal (nord-est), elle n'en a bu son premier verre qu'à l'âge de 20 ans.
"Je n'aimais vraiment pas ça", s'amuse-t-elle, "c'était horrible".
La jeune Sud-Africaine voulait s'orienter vers des études de chimie mais ses rêves ont été contrariés faute de moyens. Obligée de faire des ménages pour gagner sa vie, elle a retrouvé plus tard le chemin de l'université en décrochant une bourse en oenologie, totalement inattendue.
Elle a alors pris la direction de Stellenbosch, à 1.600 km de chez elle et s'esclaffe encore aujourd'hui au souvenir du jour où elle y a découvert la vigne, pour la première fois de sa vie.
"Je me demandais ce que pouvaient bien être ces petits arbres tout courts", raconte Ntsiki Biyela.
"J'ai eu le sentiment que le vin m'avait choisie et donc je l'ai adopté", poursuit-elle, "ce fut un voyage très intéressant (...) de découvrir un monde que je ne connaissais pas mais que j'ai fini par apprécier".
Défi
Désormais établie, la viticultrice souhaite susciter l'émergence d'une nouvelle génération de producteurs dans un secteur où la participation noire s'est longtemps limitée à ne fournir que des bras, souvent payés de quelques bouteilles de vin.
"J'ai lancé ma propre marque pour restituer à ma communauté ma connaissance de l'industrie du vin", dit-elle.
Sa cave a rejoint une poignée d'autres producteurs noirs, dans un secteur agricole largement tenu par les Blancs: seuls 2% des vignerons sud-africains sont noirs, selon l'organisation professionnelle Wines of South Africa (WOSA).
"Ces dernières années, un nombre remarquable de femmes noires ont fait leur entrée dans l'industrie du vin", se félicite le ministre provincial des Opportunités économiques, Alan Winde.
"Mais la plupart d'entre elles ne font que produire du vin, elles ne sont pas encore impliquées dans son commerce", relève-t-il.
Ntsiki Biyela le sait: pour se développer, elle et ses collègues devront convaincre la majorité noire sud-africaine des charmes du vin, qui lui sont encore largement inconnus malgré l'émergence d'une classe moyenne noire aisée.
"J'espère qu'avec le temps, les choses vont changer".
Avec AFP