Tout a commencé, assure l'avocat Khaled Ali, figure des droits humains dans le pays, "il y a plus de dix jours", alors qu'apparaissait sur Twitter le mot-clé "Manifeste_le_11/11", jour où le président américain Joe Biden notamment participera à la COP27 et s'adressera à ses dizaines de milliers de participants.
Lire aussi : Egypte: grâce présidentielle accordée à une figure de la révolution de 2011Depuis, "le parquet militaire interroge quasiment tous les jours des gens dans différentes provinces", écrivait vendredi sur sa page Facebook l'ancien candidat de la gauche à la présidentielle.
Le 11 novembre, personne ne sait ce qui pourrait arriver dans un pays où manifester est défendu par la loi. Mais pour les autorités, qui à ce moment-là organiseront la conférence de l'ONU sur le climat dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh à l'autre bout du pays, pas question que le mécontentement social s'empare de la rue.
Crise économique sévère
L'inflation dépasse les 15% et la livre a perdu la moitié de sa valeur cette année. Le pays compte plus de 60.000 détenus d'opinion et toute forme d'opposition est muselée alors que la presse indépendante est réduite à peau de chagrin.
Le président Abdel Fattah al-Sissi l'a reconnu lui-même récemment: "Je vous le dis du fond du cœur, quelqu'un qui travaille pour moins de 10.000 livres par mois ne peut pas vivre" en Egypte, où, selon les chiffres officiels, un tiers des habitants vivent avec moins de 2.200 livres par mois, soit 92 euros.
Pour dénoncer tout cela, les opposants ont déjà tenté une "répétition générale": des appels à manifester sous le mot-clé "après_le_match" exhortaient les Egyptiens à défiler après le clasico du Caire qui a opposé vendredi soir al-Ahly à Zamalek.
Aucun lieu de rendez-vous n'avait été donné mais tous les regards se sont tournés vers la place Tahrir, épicentre de la "révolution" de 2011 qui renversa Hosni Moubarak. En 2019, c'est après un clasico que de très rares manifestations avaient eu lieu, à l'appel d'un sulfureux homme d'affaires, Mohamed Ali.
Dès l'après-midi, plusieurs cafés où les matches sont habituellement diffusés, près de Tahrir et ailleurs, avaient baissé leurs rideaux. Certains propriétaires ont affirmé à l'AFP y avoir été forcés par la police. Mais aux alentours de la grand-place du centre-ville, au coup de sifflet final du match, le déploiement policier était impressionnant avec de nombreuses rues barrées par des policiers – en uniforme ou en civil – sans aucun manifestant à l'horizon.
Malgré tout, depuis des jours, dans le centre du Caire, "des passants sont arrêtés et leurs téléphones fouillés", rapporte l'avocate Mahienour al-Masry, qui défend de nombreux opposants. "Leurs pages sur les réseaux sociaux sont également inspectées et certains sont arrêtés s'ils sont soupçonnés d'être actifs politiquement", ajoute l'ONG des droits humains WeRecord.
Présidentielle de 2024
"Pourquoi ? Et sur la base de quelle loi ?", écrit encore Me al-Masry sur Twitter. "Et tout ça arrive alors qu'on nous annonce un dialogue national et une nouvelle république où toutes les opinions ont droit de cité", ajoute-t-elle.
Car depuis l'été, les autorités préparent l'ouverture d'un dialogue national auquel l'opposition est invitée. Son secrétariat s'est déjà réuni une dizaine de fois mais son ouverture n'a jusqu'ici pas été annoncée.
Vendredi, un journaliste en exil en Turquie, Hossam Elghamry, était arrêté par les forces de sécurité turques, rapporte Amnesty International. Peu avant, il partageait un tweet "Répétition générale aujourd'hui" suivi du mot-clé "après_le_match". Certains médias locaux égyptiens ont rapporté l'information, assurant qu'il était membre des Frères musulmans, confrérie interdite en Egypte depuis que M. Sissi a renversé en 2013 son prédécesseur issu de ses rangs.
Si Amnesty a un temps redouté "une possible expulsion vers l'Egypte", l'homme a été libéré depuis, selon ses proches. Et les appels ne viennent pas que de l'opposition islamiste.
Le 19 octobre, à la surprise générale, le politicien Mohammed Anwar al-Sadate, qui est parvenu à faire libérer de nombreux détenus politiques grâce à son entregent au sein même du régime, publiait une lettre. Le plus grand succès de M. Sissi, assurait-il, serait "de ne pas se représenter à la présidentielle de 2024 et de se contenter de toutes les grandes réalisations déjà accomplies".