En Egypte, politique et religion s'entrechoquent sur fond de réforme d'Al-Azhar

Le cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam d'Al-Azhar, le Caire, Egypte, le 8 août 2011. (AP Photo/Amr Nabil)

Le Pape va trouver cette semaine un soutien à son message de paix lors de sa visite à Al-Azhar en Egypte, mais cette vénérable autorité islamique, louée comme un rempart contre l'extrémisme, est accusée par ses détracteurs d'être partie intégrante du problème.

Al-Azhar est en effet au coeur d'une lutte entre les autorités politiques et religieuses depuis que le président Abdel Fattah al-Sissi fait campagne pour des réformes en matière de religion.

Ancien chef de l'armée ayant renversé son prédécesseur islamiste en 2013, le président estime que les extrémistes n'ont pas été assez remis en cause sur le terrain théologique.

"Il pense que les idées extrémistes ont complètement infiltré les sociétés musulmanes, qu'elles sont latentes" mais qu'elles pourraient être dévastatrices, a indiqué sous le couvert de l'anonymat un membre d'une délégation étrangère qui a rencontré le chef de l'Etat.

Réticences

Al-Azhar et son grand imam, Ahmed al-Tayeb, ont approuvé l'appel de Sissi du bout des lèvres.

Vieille de presque mille ans, la prestigieuse institution dirige une université et des écoles. Des milliers d'étudiants venant d'aussi loin que la Chine se rendent en Egypte pour y étudier la religion.

Les dignitaires au sein de ce bastion traditionnel de l'islam sunnite vouent une haine profonde au djihadisme inspiré du salafisme rigoriste dominant en Arabie saoudite.

Mais beaucoup de responsables et d'enseignants d'Al-Azhar voient d'un mauvais oeil la tentative du président Sissi de refaçonner la pensée islamique. La manière dont il a poussé à ces réformes en a même scandalisé certains.

"Par Dieu, j'argumenterai contre vous devant Dieu le jour du jugement dernier", a lancé le chef de l'Etat à des dignitaires religieux en 2015, soulignant la nécessité de réformes religieuses.

"L'establishment religieux --pas tout entier mais sa majorité-- est plutôt réticent aux ingérences (dans ses affaires), au fait notamment que l'on vienne stipuler comment la religion et le discours religieux devraient fonctionner", dit H.A. Hellyer, chercheur non-résident à l'Atlantic Council.

Lors d'une réunion avec un membre d'une autre délégation étrangère, cheikh "Tayeb a ouvertement moqué l'idée d'une réforme religieuse promue par Sissi": il a affirmé que "le problème, c'est le chômage et les inégalités", a dit le membre de la délégation à l'AFP.

Les appels de Sissi à des réformes ont enhardi des dignitaires voulant se faire bien voir par le président.

L'un d'entre eux, le ministre des Biens religieux Mohamed Mokhtar Gomaa, qui gère les mosquées du pays, a décidé d'imposer un prêche écrit pour la grande prière hebdomadaire du vendredi à tous les prédicateurs afin d'éradiquer le discours extrémiste, comme l'avait demandé le président.

Mais Al-Azhar s'est rebellé, forçant Gomaa à faire marche arrière. M. Sissi lui-même s'est distancié de l'initiative.

Programmes archaïques?

Des détracteurs réformistes d'Al-Azhar ont aussi été encouragés par les appels de Sissi. L'un, Islam el-Behairy, a même attaqué les livres canoniques sunnites, les considérant comme une inspiration pour les extrémistes.

M. Behairy et d'autres ont ainsi pointé du doigt les manuels classiques de jurisprudence islamique utilisés à Al-Azhar, qui contiennent des affirmations archaïques sur l'esclavage, les femmes et les non-musulmans, pouvant être choquantes pour le lecteur moderne.

Les enseignants disent, eux, que leurs étudiants comprennent que ces textes ont été écrits à une époque différente.

Après un tollé à Al-Azhar, M. Behairy a fini par être emprisonné pour "insulte à la religion", et M. Sissi s'est distancié du penseur.

La tension est montée d'un cran lorsque le président a demandé en janvier que les dignitaires étudient l'amendement des procédures de divorce, afin d'invalider la pratique islamique des divorces prononcés de manière orale.

Al-Azhar a catégoriquement refusé.

La pression s'est encore accentuée sur l'institution, accusée dans les médias de ne pas être parvenue à contrecarrer le discours extrémiste, après trois attentats suicide sanglants revendiqués par le groupe Etat islamique (EI) contre des églises coptes.

Le député Mohamed Abou Hamed a proposé un projet de loi pour réformer l'institution, prévoyant notamment de limiter les mandats du grand imam, qui peut actuellement rester en place autant de temps qu'il le veut.

"Nous avons découvert que le programme d'Al-Azhar et de ses institutions contenait plusieurs idées pouvant mener à la violence ou même incitant à la violence", a dit l'élu à l'AFP.

Al-Azhar rejette ces accusations, prenant pour preuve les conférences organisées pour contrer le terrorisme.

"Parmi les criminels qui ont commis ces crimes, il n'y en a pas un seul qui ait étudié, même un seul jour, à Al-Azhar", a lancé l'adjoint de cheikh Tayeb, Abbas Choumane.

Avec AFP