En Égypte, "quand on parle hockey, on pense à Charqiya", à une centaine de kilomètres du Caire au coeur du delta du Nil, affirme fièrement à l'AFP l'attaquante de 24 ans.
Le Charqiya Club de hockey a été créé dans les années 1960, d'abord réservé aux hommes. Mais pour Ibrahim al-Bagouri, membre du conseil d'administration du club, le jeu est bien plus vieux et date de l'époque pharaonique: ce sport était selon lui "joué à Tell Basta et Tell al-Amarna et connu des anciens Égyptiens sous le nom d'al-hawksha".
Plus de 7.000 ans plus tard, en 1995, le Charqiya Club créait son équipe féminine de hockey. En 28 ans d'existence, elle a remporté 25 fois le championnat national et même décroché en 2019 le titre de championne de la Coupe d'Afrique des clubs.
"Mais aucune fille n'est passée professionnelle jusqu'ici", regrette Donia Shaarawy, tenue de sport assortie à un foulard noir, à la sortie de son entraînement. Elle qui admire l'excellence des clubs belges et italiens espère devenir "la première Égyptienne" à rejoindre un club européen.
Le hockey ou la famille ?
Forte de son sacre continental en 2019, l'équipe féminine du Charqiya Club attire désormais les regards. Son entraîneur, Moustafa Khalil, dit à l'AFP avoir reçu des offres de clubs français et italiens pour quatre de ses joueuses.
Mais l'une d'elles a refusé d'arrêter ses études et les trois autres, poursuit-il, ont rejeté ces offres parce que, mariées avec enfants, elles ont dit ne pas pouvoir s'installer à l'étranger. La société égyptienne, conservatrice et patriarcale, se dresse entre les sportives et leurs rêves d'Europe, confie l'entraîneur, qui concède qu'il est encore tabou de "laisser les femmes voyager seules".
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Soumaya Abdel Aziz, directrice de la division féminine du club de Charqiya, veut croire que les mentalités ont changé dans un pays où les femmes se disent toujours lourdement discriminées. "De nos jours, ce n'est plus un problème pour une femme de voyager seule ou de dormir en dehors du domicile familial", veut-elle croire.
Donia Shaarawy, elle aussi, se dit prête: "Si on me demande de choisir entre le mariage et le hockey, ça sera le hockey."
Nahla Ahmed, 28 ans et capitaine de l'équipe, "mère d'une petite fille et mariée à un joueur de hockey", estime de son côté que le mariage et la maternité n'empêchent pas de mener une carrière sportive. "Je veux être la meilleure d'Afrique", ambitionne même celle qui a déjà été sacrée meilleure joueuse de première ligue et qui manie la crosse depuis l'enfance.
"Ce sport coûte cher"
Pendant l'entraînement sur pelouse synthétique, les cris des joueuses se mêlent aux entrechoquements des crosses en bois qu'elles utilisent pour se passer la balle vers les buts adverses.
Devant la cage, Nada Mostafa, étudiante, pare les attaques si efficacement qu'elle a rejoint la sélection nationale. "J'ai choisi d'être gardienne car tu as l'impression d'être le roi du monde, on dit même que la gardienne est la moitié de l'équipe", dit-elle à l'AFP, casque de protection sous le bras.
L'équipement de gardien – un plastron, des jambières rembourrés de mousse et un casque renforcé d'une grille en métal – coûte 65.000 livres égyptiennes, soit un peu moins de 2.000 euros, auxquels s'ajoutent 110 euros pour la crosse, explique leur coach, Moustafa Khalil.
"Ce sport coûte cher et le manque de couverture médiatique retarde l'arrivée de sponsors", se lamente celui qui n'a obtenu des fonds qu'une seule fois.
C'était en 2019, une entreprise égyptienne avait financé son équipe pendant la Coupe d'Afrique des clubs champions, qui se tenait cette année-là en Égypte. Malgré leur sacre, le sponsor s'est retiré aussitôt après.
"Nous dépensons entre 150.000 et 180.000 euros par an", affirme à l'AFP Hamdi Marzouk, le patron du Charqiya Club, qui, souligne-t-il, a remporté "plus de 150 championnats" toutes catégories confondues. Normal à Charqiya. Car ici, souligne Ibrahim al-Bagouri, "tout le monde possède une crosse de hockey, c'est comme le football pour les Brésiliens".