Ce mégaprojet, d'un montant de 10 milliards d'euros, prévoit le forage de plus de 400 puits pour extraire le pétrole de la région du lac Albert, dans l'ouest de l'Ouganda, et la construction du plus long oléoduc chauffé au monde (1.443 km) pour l'acheminer jusqu'au port tanzanien de Tanga.
Le lac Albert, frontière naturelle entre l'Ouganda et la République démocratique du Congo, recèle une quantité de pétrole brut estimée à 6,5 milliards de barils, dont environ 1,4 milliard sont considérés comme récupérables. Défendu par le président Yoweri Museveni qui dirige l'Ouganda d'une main de fer depuis 1986, le projet rencontre depuis des années l'opposition de défenseurs de l'environnement, qui estiment qu'il menace l'écosystème et les populations de la région.
"Les mesures de sécurité disproportionnées, la répression, les violations du droit foncier, les expulsions forcées et la corruption, combinées à l'inadéquation de la conception des projets et au caractère inadapté des mesures d'atténuation des risques se traduisent par une augmentation de la détresse des populations locales", énumèrent la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), CRED et Avocats Sans Frontières, qui ont rédigé un rapport de plus de 100 pages. Interrogé par l'AFP, le ministre ougandais de l'Information, Chris Baryomunsi a dénoncé des "allégations (qui) sont plutôt ridicules et infondées".
Dans une réponse adressée jeudi à l'AFP TotalEnergies exprime "son plus ferme désaccord à l'égard d'affirmations contenues dans ce document qui mettent en doute l'attention portée au respect des droits humains dans les opérations menées en Ouganda". "En Ouganda comme ailleurs, la Compagnie rappelle, en outre, la transparence dont elle fait preuve sur les engagements pris en matière de droits humains ainsi que sur leur mise en œuvre qui ont fait l'objet de nombreuses communications publiques", précise encore le texte.
Les trois ONG - après s'être notamment entretenues avec 114 personnes - dénoncent dans le rapport des expulsions forcées répétées, les violences et le harcèlement commis par les soldats ougandais contre des pêcheurs, ainsi que des cas de violences et d'exploitation sexuelles et sexistes commises par les militaires et le personnel des compagnies. Les abus les plus graves recensés sur les sites pétroliers ont eu lieu dans et autour des champs pétroliers de Kingfisher, où le rapport note un "niveau élevé de peur", renforcé par la mort de plusieurs pêcheurs dans les villages le long du lac Albert.
Le nombre de manifestations s'opposant au mégaprojet a augmenté ces dernières années mais les activistes, qui ont relaté avoir été qualifiés de "saboteurs économiques" ont fait face à une répression accrue. Les ONG mentionnent également des cambriolages de domiciles, des passages à tabac, des détentions au secret et des actes de torture. De mai à début décembre 2024, 96 manifestants ont été arrêtés, selon le rapport.
Quelque 12.000 familles autour du long oléoduc ont été déplacées ainsi que des centaines de foyers vivant autour du lac Albert. Le cas le plus grave remonte à mai 2020, pendant la pandémie de Covid-19, lorsque 769 personnes ont été chassées de deux villages (Kiina et Kyabasambu), "la plupart (...) sous la menace d'une arme et ne sont jamais revenus". Les ONG, qui dénoncent des expulsions sans préavis ni indemnisation, estiment que ces actes sont en "violation du droit international et du droit constitutionnel".