Entre le Nigeria et le Bénin, un nouveau poste-frontière sur la route de l'enfer

Sur la route principale menant aux nouveaux postes-frontières communs Nigéria-Bénin le jour de l'inauguration à Seme-Krake dans le district de Badagry à Lagos, capitale commerciale du Nigéria, le 23 octobre 2018.

Entre les voyageurs et commerçants obligés de négocier avec des fonctionnaires corrompus, les colporteurs en tous genres et les motos-taxis se bousculant pour passer de l'autre côté, la frontière entre le Bénin et le sud-ouest du Nigeria est connue pour être un cauchemar.

Mais l'inauguration d'un point de passage flambant neuf sur la route cabossée reliant les deux pays pourrait permettre de faciliter la circulation des biens et des personnes au sein de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao).

Le président nigérian Muhammadu Buhari et son homologue béninois Patrice Talon le 23 octobre 2018.

Le président Muhammadu Buhari a fait le voyage en hélicoptère mardi pour couper le ruban du poste-frontière de Seme-Kraké en compagnie de son homologue béninois, Patrice Talon.

Le site de 17 hectares, construit pour quelque 18,3 millions d'euros, est équipé de scanners ultra-modernes pour détecter les marchandises illicites. Et les agents de la douane et de l'immigration ont désormais de vrais bureaux, alors qu'ils s'entassaient jusque-là dans des cabanes de fortune ou des conteneurs aménagés.

Selon le président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi-Brou, le nouveau poste va non seulement booster le commerce mais aussi contribuer à lutter contre les fraudes, les trafics et la corruption en tous genres.

L'Union européenne (UE) finance la Cédéao à hauteur de 64 millions d'euros pour créer sept infrastructures similaires sur le trajet allant du Nigeria à la Côte d'Ivoire, entre le Ghana et le Burkina Faso, et entre la Guinée et le Mali.

"Une meilleure circulation des personnes, des biens et des services (...) se traduit par la création d'emplois, de possibilités de développement et d'opportunités", explique à l'AFP Ketil Karlsen, ambassadeur de l'UE au Nigeria et à la Cédéao.

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Contrebande

À première vue, l'idée de favoriser le commerce formel semble relever du bon sens, en particulier à Seme-Kraké, l’un des passages frontaliers les plus fréquentés d’Afrique.

Environ 70 pour cent des échanges sous-régionaux transitent par l'axe routier s'étendant sur 900 km le long de la côte atlantique, de Lagos à Abidjan.

Le Nigeria - comme le Bénin, dont l'économie dépend grandement de son voisin anglophone - a en outre bien besoin de stimuler une croissance économique en berne, avec environ 87 millions d'habitants vivant dans une pauvreté extrême sur 190 millions.

Pour l'économiste nigérian Nonso Obikili, le poste de Seme-Kraké devra démontrer qu'effectuer des formalités administratives au passage d'une frontière terrestre peut s'avérer aussi efficace qu'à l'entrée d'un port maritime.

Certains observateurs s'interrogent toutefois sur l'utilité d'un tel investissement dans l'espace Cédéao, où prévaut depuis longtemps la libre circulation entre les 15 pays, et où les voyageurs privilégient souvent les itinéraires informels.

Une étude de l'Institut national des statistiques (Insae) de 2011 au Bénin a recensé 171 points de passages frontaliers avec le Nigeria, le Burkina Faso et le Niger voisins.

Ainsi les véhicules d'occasion, le carburant et les produits agroalimentaires, objets d'un intense commerce illicite, transitent généralement par la brousse pour échapper aux restrictions d'importations et aux tarifs douaniers exorbitants mis en place par un Nigeria très protectionniste.

Les motos chargées de sacs de riz asiatique et les voitures aux suspensions arrière dangereusement affaissées sont courantes sur les routes des zones frontalières.

"En termes de contrebande, je ne pense pas que cela fasse de grande différence", estime Nonso Obikili. "Les trafiquants n'utilisent pas vraiment la frontière au niveau de Seme, qui est très surveillée".

Route de la "disgrâce"

A l'approche des élections générales prévues début 2019, le gouvernement nigérian ne cesse de vanter les grand travaux d'infrastructure (routes, rails, aéroports) achevés ces trois dernières années.

Les 70 km séparant la frontière béninoise de Lagos n'en font pas partie, et, avec les innombrables nids-de-poule éparpillés sur cet axe surnommé "la disgrâce internationale", il faut plus d'une demi-journée pour arriver à destination.

Camions, voitures et motos serpentent à une vitesse d'escargot pour éviter les trous remplis de boue, mais aussi les décharges d'ordures ménagères et les débris de construction abandonnés au milieu de la voie.

Le ministre des Affaires étrangères Geoffrey Onyeama, qui s'est rendu à l'inauguration du poste-frontière en voiture, a affirmé devant la presse que l'état de la route était "totalement inacceptable".

"Vous ne pouvez pas parler de libre circulation des personnes et des biens sans l'infrastructure préalable nécessaire pour la faciliter", a-t-il déclaré.

Ce n'est peut-être pas une coïncidence si les ministres ont approuvé mercredi le déblocage de 63 milliards de naira (153 millions d'euros) pour réhabiliter la route.

Mais le financement n’est pas synonyme de garantie au Nigeria, où la corruption gangrène bien souvent les travaux d'infrastructure, avec des projets lancés par un politicien qui ne sont pas toujours poursuivis par ses successeurs.

Avec AFP