Pour protester contre la répression du mouvement antigouvernemental qui affecte la région oromo, dans le centre et l'ouest du pays, la plupart des commerçants de cette localité, située à une dizaine de kilomètres d'Addis Abeba, ont tiré les rideaux.
En temps normal, Buray fourmillerait de vie avant le Nouvel An éthiopien et l'Aïd al-Adha, la fête musulmane du sacrifice, prévue lundi. "Je n'ai jamais vu la ville comme cela", commente un épicier de son échoppe, l'une des seules ouvertes de sa rue.
S'il n'a pas fermé boutique comme ses voisins, c'est que, dit-il, la police est venue le forcer à ouvrir. "Ils sont passés pour dire que nous n'avions pas le droit de fermer nos magasins et que ceux qui le font seront fermés définitivement".
Malgré les menaces et les nombreuses patrouilles de police visibles à travers la ville, beaucoup des commerces affichent portes closes, ou se contentent d'entrouvrir leurs rideaux de fer.
"Toute la région oromo est gouvernée par la force militaire", grommelle Abdisa. Le jeune homme de 26 ans assure que le petit café familial, devant lequel il devise avec une paire d'amis, restera fermé. "Ce boycottage, c'est une façon de montrer notre désaccord avec le gouvernement. Les commerçants se sont mis d'accord pour fermer jusqu'au Nouvel An".
C'est pour lui une marque "de respect" à l'égard des victimes de ce mouvement antigouvernemental. La répression menée par les autorités a fait plusieurs centaines de morts en région oromo depuis novembre dernier, selon les organisation de défense des droits de l'Homme.
Et également une forme de désobéissance civile alors que les manifestations, au cours desquelles les forces de sécurité n'hésitent pas à tirer à balles réelles, se font plus rares.
- 'Nous ne voulons plus de ce régime' -
"Nous ne voulons pas célébrer le Nouvel An. Ils tuent les gens par balles. Ces tueries doivent cesser", s'indigne Falmata, un jeune diplômé d'université sans emploi.
Le jeune homme ne décolère pas du résultat des élections de mai 2015, au cours desquelles la coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), au pouvoir depuis 25 ans, a remporté 100% des sièges au Parlement. "Ce résultat est totalement bidon", peste-t-il.
Les manifestations, violemment réprimées, ont commencé en novembre à la suite d'un plan d'urbanisme controversé d'extension des limites municipales de la capitale. Le plan, abandonné depuis, avait suscité des craintes d'expropriation de fermiers oromos, le plus important groupe ethnique du pays.
"Le plan a fait verser beaucoup de sang et ce sang a tout lancé. Nous ne voulons plus de ce régime, gouverné par un petit groupe dominé par le TPLF", poursuit Falmata, en référence au Front de libération du peuple du Tigré, dont les militants ont renversé la dictature communiste de Mengistu en 1991 et sont aujourd'hui accusés de monopoliser les postes-clés au sein du gouvernement et des services de sécurité.
La contestation s'est étendue ces dernières semaines à la région amhara, où le bilan de la répression gouvernementale approche les 100 morts, selon Amnesty International.
Les Oromo et les Amhara forment ensemble plus de 60% de la population en Ethiopie. Ce mouvement de colère est sans précédent en Ethiopie depuis une décennie.
A Burayu, la station de bus est déserte. Toutes les liaisons avec l'ouest de la région oromo, où la contestation est la plus vive, sont arrêtées. Des activistes empêchent les bus de passer, explique un résident.
Les signes de défiance à l'égard des autorités s'étendent. Jusqu'aux artistes éthiopiens, dont certains n'hésitent plus à prendre fait et cause publiquement pour les protestataires.
"Je suis avec le peuple. Le choix du peuple est le mien. Je ne ferai aucun concert", a écrit sur sa page Facebook le chanteur populaire Abush Zeleke, rejoignant une vingtaine d'artistes qui ont annoncé leur intention de boycotter les célébrations du Nouvel An, dimanche à Addis Abeba, en signe de deuil.
Avec AFP