La colère des manifestants est "un feu caché sous la cendre" en Ethiopie

Manifestation de soutien à la coalition d'opposition Medrek, Oromia, le 15 mai 2010.

Sur le campus de l'université d'Ambo, dans une région agricole à l'ouest de la capitale éthiopienne Addis Abeba, les étudiants suivent des cours, jouent au football et... se demandent qui parmi leurs camarades sont des espions.

Comme d'autres villes des régions Oromia (sud et ouest) et Amhara (nord-ouest), Ambo a été l'année dernière le théâtre de manifestations antigouvernementales, les plus importantes depuis 25 ans, poussant le Parlement à décréter l'état d'urgence en octobre.

Depuis, les rues ont largement été désertées par les manifestatants craignant d'être arrêtés ou tués par les forces de sécurité.

"On vit notre vie de tous les jours tout en ayant peur de tout", confie à l'AFP un étudiant de 23 ans, assis dans un champ sur les hauteurs d'Ambo, un des seuls endroits où il n'a pas peur d'être espionné par un indic des autorités.

Pourtant, la colère est plus vive que jamais. Quelques manifestations sporadiques ont eu lieu récemment dans l'Oromia malgré l'état d'urgence. Et quand ce dernier expirera en juillet, certains s'attendent à ce que les manifestations reprennent de plus belle.

"Le feu est caché sous la cendre", souligne un juge d'un district proche d'Ambo, qui à l'instar de l'étudiant de 23 ans et de nombreuses personnes interrogées par l'AFP, préfère garder l'anonymat par peur de représailles.

Violente répression

Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), une coalition de partis fondés sur des lignes ethniques au sein de laquelle la minorité des Tigréens est perçue comme détenant le plus de pouvoir, règne sans partage depuis 1991.

L'ERPDF est crédité d'une baisse de la pauvreté et de la mortalité infantile, notamment, mais il est également accusé par de nombreuses organisations de défense de droits de l'Homme d'avoir mis en place un gouvernement totalitaire qui truque les élections et fait taire toute dissidence.

"L'armée, l'économie, l'éducation, toutes les institutions sont contrôlées par le gouvernement", assure Getachew Metaferia, professeur de sciences politiques à l'université Morgan State, aux Etats-Unis.

En novembre 2015, un projet visant à étendre le territoire d'Addis Abeba en rognant celui des Oromos - abandonné depuis - a mis le feu aux poudres, car symbolisant des années de colère et de frustration au sein des Oromos, l'ethnie la plus importante du pays.

La violente répression des manifestations, qui ont aussi gagné la région Amhara, a fait plus de 940 morts, selon deux rapports publiés par la Commission éthiopienne des droits de l'homme, liée au gouvernement.

L'état d'urgence interdit tout rassemblement et permet à la police de détenir pour une durée indéterminée tout protestataire présumé. A travers le pays, plus de 11.000 personnes ont été arrêtées, et nombre d'entre elles envoyées dans des camps de "rééducation".

Selon le juge interrogé par l'AFP, la police a parfois arrêté des Oromos simplement car ils marchaient ensemble, et à l'université d'Ambo, des informateurs ont infiltré des groupes étudiants.

Ceux qui sont arrêtés sont forcés à dénoncer d'autres dissidents, assure l'étudiant de 23 ans, selon lequel des policiers habillés en civil scrutent souvent les toits d'Ambo, à la recherche de matériel capable de capter la chaîne de télévision Oromo Media Network, très critique envers le gouvernement et basée aux Etats-Unis.

Liberté 'envolée'

Les protestataires ne semblent pourtant pas avoir baissé les armes et sont parvenus à contourner une interdiction d'utiliser les réseaux sociaux afin de communiquer, notamment via Facebook. Ils sont descendus dans les rues d'Ambo en mars, menant à 33 arrestations, puis en mai.

En région Amhara, des attaques à la grenade ont visé des hôtels et un concert, des attaques liées au mouvement de contestation, estime un analyste politique d'une ambassade occidentale à Addis Abeba.

Le gouvernement éthiopien affirme, lui, que des réformes incluant un remaniement ministériel et un dialogue avec les journalistes et l'opposition ont ramené le calme.

"Tout le monde peut parler avec qui il veut, tant que cela n'affecte pas d'autres personnes", soutient le ministre adjoint de la Communication, Zadig Abraha, démentant le déploiement d'espions à Ambo et ailleurs. "Nous voulons que notre peuple soit libre et innovant afin de faire avancer notre économie".

L'analyste occidental reconnaît les efforts consentis par le gouvernement, mais soutient que ces derniers sont ralentis par le nombre et la diversité des demandes des protestataires.

Aux yeux des Oromos, les timides ouvertures du gouvernement ne représentent toutefois pas grand-chose. "Sur le terrain, tout ce qu'on peut voir, c'est que le peu de liberté que nous avions s'est envolé", regrette un autre étudiant d'Ambo. "Je pense que les manifestations vont se poursuivre".

Avec AFP