Fort du soutien de Paris, le Tchad résiste aux appels du pied de Moscou

"Sur le plan économique, la Russie n'a rien à proposer" et "même si l'attractivité de la France a un peu baissé, cela ne durera pas longtemps", selon un analyste.

Au Tchad, auquel la France vient de réitérer son soutien et sa volonté de maintenir ses soldats, la visite en janvier à Moscou du chef de la junte est désormais considérée comme un bluff plutôt qu'une menace de rapprochement avec la Russie.

D'autant que le général Mahamat Idriss Déby Itno, candidat à la présidentielle dans moins de deux mois après avoir durement réprimé toute opposition, n'a que peu d'intérêt à se passer du soutien militaire occidental pour l'heure, selon des experts.

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Car, dans un Sahel ex-sphère d'influence de Paris mais dont l'armée s'est fait expulser au profit de la Russie, le Tchad, encerclé par des pays faisant la part belle à Wagner (Centrafrique, Soudan, Libye, Niger), reste le dernier à abriter des soldats français. Environ un millier, même si la France a annoncé une baisse de l'effectif, comme partout où elle entretient encore des troupes en Afrique.

Les militaires français avaient sauvé à plusieurs reprises le régime d'Idriss Déby Itno, assailli par de nombreuses rébellions en 30 années de règne absolu, jusqu'à ce qu'il soit tué au front en avril 2021 et remplacé par son fils Mahamat à la tête d'une junte de 15 généraux.

Le président français Emmanuel Macron était immédiatement venu adouber le Président de transition, qui avait échappé aux foudres d'une communauté internationale pourtant prompte à condamner les putsch militaires ailleurs en Afrique. Près de trois ans plus tard, la visite surprise du général Déby à Vladimir Poutine avait provoqué le 24 janvier quelques craintes d'un éventuel "changement d'alliance". Vite dissipées cependant.

"Un vieux contrat post-colonial"

C'était davantage laisser penser aux Occidentaux que Déby avait d'autres options en cas de doutes émis sur le caractère "démocratique" de sa très probable élection, selon les experts. Et non une menace réelle de faire basculer dans l'escarcelle de la Russie le dernier pays sahélien à lui résister, après le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

A N'Djamena, contrairement à Bangui, Bamako, Ouagadougou et Niamey, le drapeau russe ne fait pas florès et les posts anti-français des usines à trolls liées à Wagner sont quasi-absents des réseaux sociaux. Seul un minibus arpente la capitale, un elliptique "Wagneur Putine Afrique" (sic) collé à la lunette arrière.

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La visite à Moscou "visait à avertir les Occidentaux en cas de contestation de sa candidature", analyse Evariste Ngarlem Toldé, professeur de Sciences politiques à N'Djamena. "Les pays de la région essaient de diversifier leurs partenaires, de les faire jouer les uns contre les autres pour faire monter les enchères", renchérit Wolfram Lacher, chercheur à l'Institut Allemand des Affaires internationales et de Sécurité.

Le Tchad "est aussi l'un des derniers régimes brutaux avec lequel la France a maintenu un partenariat militaire fort, sans doute le dernier avec lequel Paris maintient le vieux contrat post-colonial de protection de régime", assène Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Accusée d'un "deux poids deux mesures", "la France a compris qu'elle ne peut pas soutenir indéfiniment des régimes qui violent leur Constitution mais elle craint de se retirer" et de "créer un appel d'air" pour Moscou, ajoute M. Tenenbaum pour qui "le Tchad est un peu la pièce manquante du puzzle russe". Mais ces experts ne l'estiment pas encore près de tomber.

Soutien français

Jean-Marie Bockel, l'"envoyé personnel" de Macron pour l'Afrique, est venu à N'Djamena le 7 mars marteler que l'armée française "restera" au Tchad. Devant un Déby tout sourire qui venait d'annoncer sa candidature une semaine après la mort de l'opposant Yaya Dillo, M. Bockel réaffirmait le soutien de Paris.

D'autant que le jeune général doit faire face, comme son père 30 années durant, à une rébellion multiforme dans le nord et l'est et à une fronde menaçante parmi les officiers de son armée. Or, à plusieurs reprises, notamment en 2006, 2008 et 2019, le régime a été sauvé par l'intervention de militaires français ou de leurs avions de combats contre des rebelles qui fondaient sur N'Djamena.

Et, en avril 2021 et la mort du Maréchal Déby, la rébellion venue de Libye et suspectée d'y avoir reçu armes et formation de Wagner, a été repoussée en partie grâce aux renseignements aériens et satellitaires fournis par l'armée française, selon des experts. "Nous n'avons jamais eu de lien avec Wagner", balaie Mahamat Mahdi Ali, le chef de cette rébellion au téléphone à l'AFP.

Le pouvoir de Déby "repose sur le soutien français en particulier et occidental en général", conclut M. Lacher, qui a "du mal à imaginer l'arrivée de mercenaires russes au Tchad". "Sur le plan économique, la Russie n'a rien à proposer" et "même si l'attractivité de la France a un peu baissé, cela ne durera pas longtemps", renchérit l'analyste politique russe Konstantin Kalatchev.