Beaucoup des 2,8 millions de travailleurs immigrés en France risquent ainsi de ne pas cotiser suffisamment pour prétendre à une retraite complète. Les perspectives sont encore plus sombres pour les sans-papiers puisque la loi impose, depuis 1993, aux travailleurs d'être en situation régulière au moment de la liquidation des droits à la retraite.
Entamée en janvier, la mobilisation contre la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron n'a toutefois fait entendre qu'à la marge les craintes très spécifiques de ces travailleurs, venus principalement du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.
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Ceux qui travaillent légalement en France sont structurellement "plus souvent au chômage", "ont plus souvent un contrat à durée limitée" et "occupent plus souvent des emplois moins qualifiés, associés à des rémunérations moindres", selon le récent panorama dressé par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
"Petite formation, petit salaire, petite cotisation. La retraite d'un immigré, par rapport à un travailleur français lambda, est en moyenne 50% inférieure", précise le chercheur Omar Samaoli, auteur de l'ouvrage "Retraite et vieillesse des immigrés en France".
"Ce sont des gens qui ont une carrière en dents de scie, qui ont bricolé à droite à gauche, avec des périodes sans cotisation. Pour eux, la retraite c'est le moment qui incarne tous les problèmes qu'ils ont rencontrés" durant la vie professionnelle, poursuit l'expert, par ailleurs directeur de l'Observatoire gérontologique des migrations.
"Déni d'existence"
Résultat : parmi les assurés du régime général, 61% des personnes qui n'ont recouru à aucun régime de retraite entre 70 et 90 ans sont nées à l'étranger, selon une étude de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).
Pourtant, sur les dernières décennies, l'immigration "a eu un impact positif sur le financement des retraites, les immigrés rapportent plus qu'ils ne coûtent", observe Lionel Ragot, professeur d'économie à l'université Paris-Nanterre et auteur d'une étude sur l'impact budgétaire de l'immigration. La problématique est plus aiguë encore pour les travailleurs sans-papiers, dont le nombre est estimé à environ 600.000.
"Eux peuvent cotiser pendant des années pour la retraite, sans la toucher" s'ils n'ont pas été régularisés au moment de la réclamer, résume Omar Samaoli, estimant que l'Etat "crée une vulnérabilité par déni d'existence" à des personnes qui sont pourtant des "premiers de corvée" dans les métiers les plus pénibles. C'est pour dénoncer cette "injustice" que des collectifs de travailleurs sans-papiers défilent depuis janvier dans les cortèges manifestant contre la réforme des retraites.
"Du vol"
El Hadji Dioum, un Sénégalais de 42 ans, n'a pas raté une manifestation. Sous sa casquette rouge, il détaille à l'AFP les raisons de sa colère, lui qui cumule un emploi de préparateur de commandes et un "petit job" dans la restauration, "pour survivre".
"Je cotise mais si le jour J je n'ai pas de papiers, je n'aurai rien", dit-il. "C'est du vol! On dit que les immigrés viennent profiter du système, mais là c'est l'inverse. On travaille, on cotise et à la fin on ne touche même pas la retraite".
"Notre pays s'accommode très bien du travail illégal lui permettant d'encaisser les cotisations mais demande subitement des papiers au moment de leur verser la pension", s'est indignée fin mars dans une tribune l'ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, désormais présidente de l'association d'aide aux exilés France terre d'asile.
Dans cette tribune intitulée "Travailleurs étrangers: les grands oubliés de la réforme des retraites", Mme Vallaud-Belkacem a également dénoncé "les impayés de cotisations retraites d'employeurs qui profitent de la méconnaissance de leurs droits" de la part des étrangers.