Les époux Gauthier a également raconté le combat d'une vie "contre l'anéantissement".
On les appelle parfois "les Klarsfeld du Rwanda". Pour résumer l'engagement d'un couple dans la traque de génocidaires: la leur ne vise pas des nazis mais des Rwandais réfugiés en France et suspectés d'avoir pris part au génocide des Tutsi, qui fit plus de 800.000 morts d'avril à juillet 1994.
Alain Gauthier n'aime pas ce terme de "traque", un "vocabulaire qui est celui des tueurs". A la barre, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) vient expliquer l'action de cette association française qui a porté plainte il y a des années contre Octavien Ngenzi et Tito Barahira, deux anciens bourgmestres rwandais jugés pour génocide depuis la mi-mai à Paris.
C'est face à "l'absence de poursuites en France"qu'il décide en 2001 de créer l'association, avec son épouse tutsi Dafroza. Elle est ingénieur chimiste, lui directeur d'un collège à Reims quand leur vie bascule en 1994. La famille de Dafroza est décimée. Alain Gauthier est encore hanté par les mots de son fils de onze ans: "Maman, je te vengerai".
Lui explique leur démarche. Elle donne une voix aux victimes, égrène les noms de victimes, n'épargne aucun détail sur la recherche des ossements dans les fosses communes, jusqu'aux disputes pour une mâchoire entre survivants cherchant désespérément à offrir une sépulture digne à leurs proches.
"Nous aurions beaucoup préféré que la justice de notre pays réponde aux demandes d'extradition du Rwanda", dit-il en préambule, alors que la France rejette toutes les demandes de Kigali. Puis il s'attache à expliquer son combat "pour la justice", car "chaque victime a un nom".
"La cour appréciera"
Depuis 2001, ils ont déposé "22 plaintes". Vingt-deux des 26 dossiers ayant abouti entre les mains des juges d'instruction parisiens. Le procès des anciens bourgmestres est le second en France pour génocide, après la condamnation en 2014 de l'ex-capitaine rwandais Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion criminelle.
S'adressant aux accusés qui nient toute participation aux massacres, il parle d'une "chance" pas saisie: "au cours de ces huit semaines de procès, j'ai rêvé que vous fendiez la cuirasse".
Anticipant les critiques, il expose lui-même les fréquentes critiques à l'encontre du CPCR: "agent du pouvoir rwandais", "chasseur d'intellectuels hutu", pour rappeler l'"essentiel": "donner une voix" aux victimes.
Cela ne suffit pas aux jurés. L'un d'eux attaque frontalement, interrogeant Alain Gauthier sur ses sources de financement, l'implication du Rwanda. Le président de l'association répond point par point: "le budget annuel du CPCR est de 15.000 euros par an. Nous n'avons pas les moyens de payer les procès et c'est pourquoi nous faisons très régulièrement des appels aux dons". Ne recevant "pas un centime" de la France, il "ne voit pas de problème à ce que le Rwanda" participe.
A 68 ans, Alain Gauthier estime qu'il n'a pas "à justifier son action", mais explique quand même: "Franchement, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de poursuites en France", alors que des génocidaires ont été jugés dans d'autres pays européens.
"Vous avez dit votre +joie+ d'avoir acquis la nationalité rwandaise. En quelle année?", relance le juré. Un peu ébranlé, Alain Gauthier répond: "En 2009 je crois, mais je ne vois pas bien le rapport avec les débats". "La cour appréciera", rétorque le juré, avant de se faire rabrouer par le président pour cette rare entorse à la neutralité de la cour.
"Je tiens à vous rassurer M. Gauthier, précise le président Stéphane Duchemin, la cour n'appréciera pas la date de votre acquisition de la nationalité rwandaise."
"Pour en finir avec les fantasmes", l'avocate d'Octavien Ngenzi, Françoise Mathe, demande clairement quels sont les liens familiaux des Gauthier avec le pouvoir rwandais actuel: "Une cousine de ma femme est l'épouse de James Kabarebe, l'actuel ministre de la Défense", répond M. Gauthier.
Avec AFP