Génocide rwandais : devant la justice française, son épouse décrit un bourgmestre "pétrifié"

L’avocat français Richard Gisagara représente Constance Mukabazayire lors du procès sur le génocide au Rwanda dans lequel comparaissent Octavien Ngenzi et Tito Barahira accusés pour le massacre des centaines de Tutsis, au palais de justice de Paris, France, 10 mai 2016. REUTERS / Gonzalo Fuentes - RTX2DLXP

Un homme "pétrifié" qui a fait "ce qu'il a pu": l'épouse d'Octavien Ngenzi, ancien bourgmestre du village rwandais de Kabarondo jugé en France pour avoir participé au génocide en 1994, a dit vendredi son "admiration" pour son mari. Presque "indécent" pour l'accusation.

Veste sombre sur une élégante jupe-pagne, Bellancila Ngenzi est venue décrire, en français, à la cour d'assises de Paris un homme "abattu", "sans pouvoir", qui "tentait de faire de la sensibilisation pour empêcher les violences", pour "sauver des vies".

Le 13 avril, jour du pire massacre à Kabarondo (est) où au moins 2.000 personnes réfugiées dans l'église ont été massacrées selon l'abbé, elle affirme être avec son époux quand retentit la "première détonation". Il était "pétrifié".

Elle, enceinte et malade, reste à la maison. "Lui est parti à la commune. Quand il est revenu le soir, il était tétanisé de voir que c'étaient les militaires, qui doivent protéger les gens, qui avaient tué les réfugiés", dit-elle.

Au président Stéphane Duchemin qui demande ce qu'elle admirait chez le bourgmestre, décrit par de nombreux témoins comme passif ou complice des génocidaires, elle répond: "Il y avait les militaires, mais aussi à gauche, à droite, tous ceux qui s'improvisaient tueurs. On l'a menacé. A chaque sortie il risquait sa vie".

Décrit 'comme un Juste'

D'une famille mixte, elle-même de mère tutsi, elle estime que son mari, ses enfants, sa mère ont eu "de la chance de ne pas être tués", pleure en évoquant les proches morts à l'église, parmi lesquels le parrain de Ngenzi "qui avait apporté des cadeaux" à son mariage.

- Il y a eu des ratissages au domicile de familles tutsi. Plusieurs témoins ont dit que votre mari y était, relance le président.

- Mais il les a sauvés, dit-elle. La dissuasion a marché.

- Pas tous, soupire le président.

Elle reprend son souffle avant la charge des parties civiles. "Vous êtes en train de couvrir votre mari, vous le décrivez très tranquillement comme un Juste", attaque Me Sophie Dechaumet, avocate du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, l'association à l'origine de la plupart des enquêtes ouvertes en France sur le génocide rwandais.

L'avocate relève des incohérences dans la chronologie établie par Bellancila Ngenzi: "Vous dites que votre mari ne vous a plus quittée à partir du 15, mais comment pouvait-il être chez Médiatrice Umetesi (une rescapée venue témoigner au procès) le 17 lors d'une rafle?"

"C'est ce qui me fait de la tristesse. On cherche à prolonger les dates", se défend-elle, secouant la tête.

C'est au tour de l'avocat général. "Le ministère public est sensible à votre souffrance madame, mais les éléments, les témoignages que nous avons eus à l'audience ne cadrent pas avec le portrait que vous dressez", commence Philippe Courroye.

Il revient sur ses déclarations, rappelle quelques témoignages accablants de survivants. Certains l'ont vu devant l'église avec les tueurs, d'autres disent qu'il a même "donné des ordres". Des "menteurs" pour l'épouse.

L'avocat général la ramène au drame de l'église. L'abbé Oreste Incimatata, rappelle-t-il, a témoigné du changement de comportement du bourgmestre, qui n'a "jamais apporté de vivres aux réfugiés", parqués sans défense dans un sanctuaire qui allait devenir leur tombe.

- "Les gens à l'église n'ont jamais eu faim ou soif", commence-t-elle, prête à rappeler ce que son mari lui avait dit.

- "Madame, cela frise l'indécence", la coupe Philippe Courroye.

Octavien Ngenzi, qui est jugé en même temps que son prédécesseur à la tête de la commune Tito Barahira, devrait être interrogé lundi et mardi. Le verdict est attendu le 6 juillet.

Avec AFP