Génocide rwandais jugé en France : la méticulosité de l'accusé Ngenzi

Eglise catholique à Ntarama, Rwanda, 4 avril 2014.

Aux assises de Paris, le président soupire. Il s'est fait plus incisif lundi, a exigé "de la précision" et des "réponses courtes", mais s'est heurté à la méticulosité obstinée de l'accusé Octavien Ngenzi, qui nie toute participation au génocide de 1994 dans son village de l'est du Rwanda.

L'ancien bourgmestre, 58 ans, accusé avec son prédécesseur Tito Barahira d'avoir été un "donneur d'ordre" et d'avoir pris part aux massacres des Tutsi dans sa commune rurale de Kabarondo, argumente, conteste, revient sur chaque détail : la présence d'un arbre qui cachait la vue ou la couleur d'une voiture.

Au risque de contredire certaines de ses précédentes déclarations, au risque d'agacer la cour. Le poing fermé, la voix forte, il utilise ses meilleures armes: un attachement zélé aux détails et un réel talent dans la circonvolution, dans un français imagé, dressé à cet art du contournement.

Il est précisément interrogé sur son rôle le 13 avril 1994, le jour du massacre des réfugiés de l'église du village : au moins 2.000 ont péri selon une estimation du curé qui a tenté d'organiser la résistance.

"Combien de personnes étaient dans l'église, combien ont été tuées ? Quand vous en voyez vingt, l'abbé en voit 200, alors je demande", commence le président Stéphane Duchemin.

L'ancien bourgmestre ne les a "pas comptés", parle de "milliers" mais "ne saurait être plus précis". Il ne peut l'être non plus sur l'heure à laquelle il est arrivé au bureau communal ce jour-là, finira par dire "dans l'avant-midi".

- "Vous dites être resté plusieurs heures devant le bureau communal. De là, on a une belle vue sur l'église, dit le président, montrant une photo.

- Il y avait un talus et une haie de cyprès, on ne pouvait pas voir. Mais je comprenais bien ce qui se passait.

- Donc vous êtes resté là pendant des heures, avec la bande son. Vous n'allez pas voir ?

- Je pouvais pas tant que les militaires étaient là. Cela servait à rien. Ils les tuaient tous".

- 'Des témoignages qui font mal' -

L'accusé répète qu'il ne pouvait suspecter que l'église, sanctuaire pour les Tutsi lors de précédents pogroms, serait attaquée. Regrette qu'on ait mis en doute sa parole sur ce point.

- "Il y a beaucoup de témoignages qui ont dû vous faire mal M. Ngenzi, reprend le président. Pourquoi toutes ces personnes voudraient contredire aussi frontalement votre présentation ?"

L'accusé avance plusieurs raisons : certains témoins étaient des tueurs ayant obtenu des remises de peine au Rwanda et "savent que s'ils changent leur version, ils retournent en prison", d'autres sont des survivants prêts à tout pour "se débarrasser des Hutu", cause de leur malheur.

Ce jour-là, le fonctionnaire explique être allé deux fois à la préfecture de Kibungo. Le matin très tôt, puis dans l'après-midi pour faire son rapport, dire que les réfugiés "étaient tous morts". Certains témoins, dont l'abbé Oreste Incimatata, assurent que l'accusé Ngenzi est allé lui-même chercher les militaires qui ont attaqué l'église au mortier, prêtant main forte aux extrémistes Interahamwe armés de machettes.

"L'abbé a bien vu une voiture rouge, mais pas moi", se défend-il. Il assure ne "pas savoir" qui a fait venir ces militaires "tueurs", alors que lui avait demandé des renforts pour "protéger les réfugiés".

Le président soupire et passe la main. L'avocat général revient à la charge. "Mais tout de même, M. Ngenzi, demande Philippe Courroye, à la fin de la journée, vous n'avez pas l'idée d'aller voir à l'église, cette église où vous vous êtes marié ?". L'accusé relève la tête et dit d'une voix plus douce: "cette église n'était pas celle où je me suis marié. C'était un endroit plein de cadavres. Il n'y avait plus rien à faire".

Le verdict est attendu le 6 juillet.

Avec AFP