La semaine dernière lors d'une réunion de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'aide humanitaire en Ukraine, Pretoria a proposé une résolution ne faisant aucune référence à la Russie. Le texte a été rejeté. Plus tôt en mars, l'Afrique du Sud était parmi la vingtaine de pays africains à s'abstenir lors du vote d'une résolution exigeant le retrait des troupes russes.
Le président Cyril Ramaphosa a récemment affirmé que rien ne le poussera à prendre une position "antagoniste" vis-à-vis du Kremlin, tenant l'Otan pour responsable. "La guerre aurait pu être évitée si l'Otan avait tenu compte des avertissements de ses propres dirigeants et responsables au fil des ans, mettant en garde contre une expansion vers l'est qui entraînerait une plus grande, et non une moindre, instabilité dans la région", a-t-il déclaré devant le Parlement.
"Nous ne pouvons pas cautionner le recours à la force ou la violation du droit international", a-t-il toutefois souligné, en médiateur expérimenté de conflits en Afrique et en Irlande du Nord.
"Avec la Russie"
Ce positionnement a créé des rapprochements inattendus avec les radicaux de gauche des Combattants pour la liberté économique (EFF) dont le leader, Julius Malema, a déclaré: "Nous sommes avec la Russie".
Se réjouissant à l'idée que Moscou "donne une leçon" à l'Otan et aux Etats-Unis, Malema a invoqué le passé lors d'un rassemblement pour justifier un soutien à la Russie qui "nous a fourni des armes, donné de l'argent pour combattre l'apartheid".
De nombreux pays africains ont des liens historiques avec la Russie, qui a massivement soutenu les mouvements anti-coloniaux et pro-indépendance. La Russie a aussi soutenu l'entrée de l'Afrique du Sud à ses côtés au club des Brics.
Lire aussi : L'Afrique australe pro-Russe face à la guerre en UkraineL'ex président Jacob Zuma a également exprimé son soutien à Vladimir Poutine qu'il décrit comme "un homme de paix", estimant que l'invasion "semble justifiable (...) la Russie s'est sentie provoquée". Pendant sa présidence, M. Zuma avait négocié un obscur accord de plusieurs milliards pour de l'énergie nucléaire russe, annulé par la justice.
Ailleurs, le débat fait rage. Le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique, a fustigé des "décisions honteuses de Pretoria en matière de politique étrangère", ainsi que sa "position lâche et immorale" sur le conflit. Son fief du Cap a été illuminé aux couleurs de l'Ukraine, en signe de solidarité.
"Sur des œufs"
Le clergé aussi s'indigne. Le successeur de Desmond Tutu, l'évêque anglican du Cap, Thabo Makgoba, s'est dit affligé par "le silence de l'Afrique du Sud sur les horribles bombardements visant des établissements de santé et des civils". "Où est notre ubuntu?", a-t-il questionné en référence à cet un humanisme à l'africaine chéri de Nelson Mandela.
L'opinion publique est pour sa part surtout concernée par la hausse des prix du carburant provoquée par le conflit.
"Le gouvernement va vers la catastrophe avec une diplomatie qui l'oblige à marcher sur des œufs", a mis en garde le journaliste spécialiste de politique étrangère, Peter Fabricius. L'Afrique du Sud risque de "perdre des amis à la fois dans le pays et à l'étranger".
Pour le chercheur Jeremy Seekings de l'université du Cap, l'Afrique du Sud est en contradiction avec son passé de lutte contre l'apartheid en défendant aujourd'hui "l'impérialisme russe aux dépens d'une démocratie".
Selon certains spécialistes, le pays joue son statut sur le continent, son "influence" en déclin pouvant profiter à d'autres puissances comme le Kenya, le Nigeria ou encore le Sénégal.
Mais rien n'oblige l'Afrique du Sud à condamner la Russie, souligne Chidochashe Chere, de l'université de Johannesburg: "Il est sage pour l'Afrique du Sud de bien choisir ses batailles, car elle voudra s'engager auprès des deux pays sur le long terme".